La présidente de l’organisation Radhya Almutawakel, qui s’est déplacée à Paris pour y présenter son rapport annuel – « Vies en péril : la situation des droits humains au Yémen en 2018 » – insiste sur l’urgence de désigner une mission d’enquête « avec un mandat fort » pour faire la lumière sur les abus en cours, soulignant que toutes les parties au conflit s’en rendent coupables.

« Énormément d’enfants rejoignent la ligne de front, dans de très nombreux quartiers, même parmi la population la mieux éduquée, on a des photos d’enfants morts au combat, dont seuls reviennent les cadavres, après une semaine ou deux », a-t-elle expliqué au cours d’une conférence de presse.

Elle a choisi Paris parce que la France continue, malgré la persistance des abus commis par la coalition coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, à vendre des armes à cette dernière.

« Les familles ont de plus en plus de mal à les empêcher d’aller se battre : pas seulement pour l’argent, mais aussi à cause de cet environnement émotionnel, parce que leurs camarades ont été tués… Et toutes les parties, surtout les Houthis, sont ravies de les recruter ».

« Plus la communauté internationale attend pour demander des comptes aux Saoudiens, aux Emiratis et aux criminels de guerre yéménites de tous bords, plus il sera difficile de reconstruire le Yémen », insiste Mme Almutawakel, désignée parmi les 100 personnalités les plus influentes de 2018 par le magazine Time. « L’immunité actuelle incite les parties à continuer de perpétrer des abus atroces et dévastateurs ».

La présidente de l’ONG dénonce les « nombreux pays (qui) soutiennent les EAU (Emirats arabes unis, ndlr) et l’Arabie saoudite pour des raisons économiques, comme la France, les États-Unis et le Royaume-Uni : ils s’opposent à une enquête sérieuse juste parce qu’ils vendent des armes ».

Recrutement de filles

Mwatana for Human Rights a répertorié au moins « 1.117 cas d’enfants recrutés ou utilisés à des fins militaires en 2018 », dont « 72% par le groupe armé Ansar Allah (Houthis) », y compris des filles. Mais tous les groupes combattants s’en rendent responsables, souligne l’ONG qui attribue 17% de ces cas aux forces de la coalition et 11% aux forces loyales au président yéménite.

C’est la première fois que Mwatana, une organisation respectée, documente des cas de recrutement de mineurs et de filles dans ce conflit en cours depuis 2014, qui provoque depuis 2015 la pire crise humanitaire et a fait des dizaines de milliers de morts.

Les enfants sont utilisés « par toutes les parties » pour « combattre, garder des points de contrôle, apporter une aide logistique aux opérations militaires ».

Mwatana cite plusieurs cas précis de jeunes entraînés au combat et « sept affaires d’agressions sexuelles, qui ont impliqué huit enfants ».

Elle dénonce également quelque 2.000 attaques contre les écoles au Yémen depuis le début du conflit, dont 60 en 2018, qui privent les enfants d’éducation. Mais aussi les mines terrestres laissées par les combattants.

Les forces houthies qui ont pris le contrôle de Sanaa, la capitale, en décembre 2014 contrôlent environ 20% du territoire où réside la majeure partie de la population.

Mais sur « les 80% du territoire contrôlés par le gouvernement et la coalition » emmenée par l’Arabie saoudite depuis mars 2015, « au lieu de commencer à restaurer l’Etat, ils renforcent les groupes armés. On a des milices auxiliaires des deux côtés, coupables d’horribles violations ».

L’annonce du prochain retrait des Emirats reste difficile à évaluer selon Radhya Almutawakel : « Les EAU commencent à se retirer, mais ils renforcent des groupes armés derrière eux », accuse-t-elle.

L’organisation précise que les abus sont bien plus larges et massifs que ceux cités mais qu’elle ne présente que ceux qu’elle a pu parfaitement documenter, sur le terrain, au fil de 2.065 entretiens en arabe avec les victimes, leurs proches, des témoins et des membres du personnel médical et des humanitaires.