Il est le meilleur ami de Tariq Ramadan et pilote son comité de soutien. Yamin Makri est, sans conteste, un des acteurs les plus actifs du tissu associatif musulman français. Avec Tariq Ramadan, il a fondé la dynamique inter-associative Présence Musulmane dans les années 1990. Il est l’un des fondateurs de Résistance & Alternative, un mouvement créé récemment qui rallie les réseaux des différentes régions du monde avec lesquels toute leur dynamique a travaillé depuis vingt ans. Aimé ou détesté pour son franc-parler, il ne laisse personne indifférent. Interview de celui dont la parole est extrêmement rare dans les médias.

LeMuslimPost : Pourquoi soutenez-vous Tariq Ramadan ?

Yamin Makri : Nous soutenons Tariq Ramadan parce que nous pensons que tout le monde a droit à un procès équitable, qu’il n’est pas normal qu’un homme soit jugé avant même qu’un procès ait lieu. C’est donc avant tout une question de droit au Droit. C’est ce qui fonde notre volonté de vivre ensemble. C’est fondamental.

Ensuite, nous connaissons profondément l’homme, le travail qu’il a accompli depuis trente ans, les valeurs qu’il prône et qu’il défend. Et, malgré toutes les accusations qui sont portées contre lui, nous avons une totale confiance en lui, en ses qualités morales et en son honnêteté. C’est notre conviction.

« Nous ne désirons qu’une chose : l’application d’une justice dans le respect strict de ses procédures »

Mais, vu le matraquage médiatique, il est compréhensible que d’autres personnes pensent différemment.

Aujourd’hui, nous ne désirons qu’une seule chose : l’application d’une justice dans le respect strict de ses procédures, elle doit s’exprimer et rendre ses décisions de manière claire et impartiale.

Tariq Ramadan est respecté aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communauté musulmane. Le comité apporte un soutien moral à la famille, il rassemble les gens scandalisés par le traitement injuste infligé à Tariq Ramadan.

Ce comité dénonce le deux poids deux mesures qui est fait envers un homme qui est mis en détention provisoire quand d’autres, pour des faits au moins similaires, sont en liberté.

Le soutien que vous appelez à apporter ne risque-t-il pas d’entraver le respect et le droit des plaignantes ? Comprenez-vous que les plaignantes et le public puissent être mal à l’aise vis-à-vis de ce très large soutien ?

Nous respectons totalement le droit des plaignantes. Elles ont le droit d’être entendues. C’est un postulat que nul ne remettra en question.

Aujourd’hui, ce que nous constatons, c’est que les droits de Tariq Ramadan en tant qu’accusé  ne sont pas respectés et qu’il est déjà considéré comme coupable.

Les plaignantes, qui ne sont pour l’instant que des « présumés victimes », sont déjà décrites par tous les médias comme des « victimes ».

« Pour les juges, Tariq Ramadan est déjà coupable et il a déjà commencé à purger sa peine sans même être jugé »

Et Tariq Ramadan, le prévenu, qui reste innocent sauf preuve du contraire, c’est-à-dire jusqu’à une décision de justice, est décrit comme un coupable évident.

La dernière déclaration du juge qui justifie sa détention préventive pour des risques « de réitération des faits » est très claire. Pour ces juges, Tariq Ramadan est déjà coupable et il a déjà commencé à purger sa peine sans même être jugé.

C’est très inquiétant mais nous ne baisserons pas les bras.

Pas seulement pour que Tariq Ramadan ait droit à une justice équitable. L’enjeu est bien plus important que cela : il s’agit ici de préserver l’instance judiciaire, que la séparation des pouvoirs soit respectée et que ne persiste pas dans mon pays le sentiment que la justice n’existe plus dès qu’elle concerne un certain type de population.

On a l’impression que les uns attaquent aveuglément Tariq Ramadan pendant que d’autres le défendent sans discernement… N’y a-t-il pas un juste milieu ?

Il est clair que cette affaire suscite trop de passions dans les médias, dans la société, et dans la communauté musulmane.

Mais l’affaire Tariq Ramadan est emblématique. C’est une affaire qui est lourde de sens dans notre société qui a beaucoup de mal à gérer les différences et le vivre-ensemble.

L’affaire Tariq Ramadan a été médiatisée dans le cadre de la campagne mondiale contre les abus sexuels.

Si, pour notre part, on considère que dans le cas de l’affaire Tariq Ramadan, il y a une instrumentalisation et un détournement de cette campagne, cela n’enlève rien à sa légitimité. 

On a certes usé de cette campagne pour faire tomber Tariq Ramadan mais nous ne tomberons pas dans le piège tendu : nous apportons notre total soutien à cette campagne. Les mouvements appelant au respect des droits des femmes et ceux qui appellent au droit des minorités discriminées doivent se retrouver avec tous ceux qui défendent une citoyenneté égalitaire.

Tout être humain a droit au Droit. Tout être humain doit être respecté. Il n’y a pas de sous-être Ici, en France, mais aussi en Palestine, au Sahel et dans le monde entier.

« Les procédures et l’impartialité doivent être respectées. C’est notre seule revendication »

Une vie humaine est une vie humaine quelle que soit sa nationalité, sa religion et au-delà de son sexe et de tous types d’appartenances. 

La vie d’un migrant qui se noie en Méditerranée, celle d’un jeune syrien tué lors d’un bombardement, celle d’un Palestinien emprisonné parce qu’il protège sa terre ou celle d’un jeune français sommairement exécuté pendant un concert à Paris, toutes ces vies sont d’égale importance. Elles sont toutes sacrées, à nos yeux.

Toutes réclament notre attention, toutes exigent que justice soit rendue. Toutes ces vies fauchées doivent nous interroger. Elles doivent nous faire prendre conscience qu’il y a un véritable problème dans la manière dont le monde est géré.

Et nous ne trouverons aucune solution en nous dressant les uns contre les autres. Tout au contraire, il faut multiplier les liens, créer des ponts. C’était et c’est toujours tout le combat de Tariq Ramadan.      

Il faut préserver notre humanité commune, nos valeurs communes et nous en avons. Le droit au Droit est fondamental, cette idée de croire qu’on peut se retrouver sur la base d’une citoyenneté égalitaire et d’un socle qui nous rassemble est tout autant fondamental.

Les femmes comme les minorités visibles souffrent au quotidien de comportements discriminatoires dans leur vie sociale et professionnelle. Le sexisme et toutes les autres discriminations sont des fléaux qui remettent en cause la notion même d’égalité et de non-discrimination face à une appartenance sexuelle, religieuse ou raciale.

L’affaire Tariq Ramadan est emblématique de tout cela.

La justice devra décider en toute indépendance de la culpabilité ou non de l’accusé. Mais les procédures et l’impartialité doivent être respectées. C’est notre seule revendication.

S’il y a un deux poids deux mesures qui est appliqué sur cette affaire, les conséquences seront profondes et incalculables. Nous transformerons alors Tariq Ramadan en un détenu politique suisse enfermé dans une prison française. Ce sera la porte ouverte à toutes les voies extrêmes.

En tant que citoyen français, je ne laisserai pas mon pays s’engager dans cette voie catastrophique pour nous tous.

« Une simple réservation d’avion n’a jamais été un alibi.  Et une absence d’alibi ne fait pas de vous un coupable »

A propos des révélations de la réservation d’avion, cela fragilise-t-il la défense de Tariq Ramadan ? Cela semble être un argument à charge de poids.

En aucun cas. Tariq Ramadan n’a fait que fournir les éléments qu’il avait en sa possession pour justifier de son emploi du temps de la journée en question. Il est logique qu’un homme qui prend l’avion quatre à cinq fois par semaine ne se rappelle pas de l’heure à laquelle il est arrivé à Lyon neuf années plus tôt. Surtout qu’au gré des invitations à des séminaires ou à des émissions télé, il lui arrivait très souvent de modifier ou d’annuler un déplacement.

Il a fourni tous les éléments en sa possession.

Il s’avère que le travail d’investigation n’avait pas été fait de manière correcte, ni par l’avocat de Tariq Ramadan, ni par les enquêteurs de la police judiciaire. Or, voilà que cette pièce, qui n’était qu’un élément du dossier (une simple réservation et non pas un billet), devient centrale par le fait étrange qu’elle disparaisse du dossier pour réapparaître.

Les responsables de l’Union des Jeunes Musulmans à Lyon ont permis de faire la lumière sur l’emploi du temps de Tariq Ramadan et, effectivement, il était à Lyon à l’heure des faits que la seconde plaignante apporte, mais cela ne signifie en aucune manière que Tariq Ramadan soit coupable pour autant.

Une simple réservation d’avion n’a jamais été un alibi.  Et une absence d’alibi ne fait pas de vous un coupable.

Le fait d’avoir concentré les esprits sur cette réservation, qui ne prouve rien même si elle existait, a permis de nous écarter des éléments du dossier beaucoup plus problématiques pour les plaignantes. Et, en particulier, sur des indices manifestes de collusion avec des personnalités reconnues comme des ennemis idéologiques de Tariq Ramadan tels que Caroline Fourest, Gilles Kepel, Antoine Sfeir, le juge Debacq, Jean-Claude Elfassi, Ian Hamel, Alain Soral, Selim Laibi.

Que viennent faire toutes ces personnes très marquées idéologiquement et citées dans le dossier ?

Que viennent-elles faire dans une affaire présentée comme une affaire de mœurs ?

Jusqu’à aujourd’hui, on ne nous a fourni aucune explication crédible.   

La justice statuera, nous en sommes convaincus, ce n’est qu’une question de temps.

Quelle est votre relation à Tariq Ramadan ? Votre amitié n’altère-t-elle pas votre jugement?

Je connais Tariq Ramadan depuis la fin des années 80. Nous avons travaillé et voyagé ensemble. Nous sommes proches effectivement. Mais, pour avoir côtoyé l’homme depuis si longtemps, je peux affirmer que des éléments dissonants de l’affaire ne cadrent en rien avec la personne qu’il est. Et je ne parle pas des faits dont on l’accuse. Je parle de tous ces « à côté » qui ne cadrent pas du tout avec l’homme et toutes ses qualités morales connus de tous.

Tariq Ramadan n’est pas un homme qui va imposer le voile, ni juger une femme parce qu’elle ne le porte pas.

« Il nous faut une justice équitable libérée de toute influence médiatique »

Il n’est pas homme à demander à quiconque de prêter serment à quoi que ce soit. 

Le récit des plaignantes est totalement à des années-lumière de ce que Tariq Ramadan est, promeut et défend.

Qu’attendez-vous de la justice aujourd’hui et que pensez-vous du traitement médiatique de l’affaire ?

Il faut rétablir de la sérénité, il nous faut une justice équitable libérée de toute influence médiatique.

Il faut juger des faits, rien que des faits. Pas une pensée.

Est-ce que cette affaire a divisé ou au contraire soudé la communauté musulmane ?

Les gens, musulmans ou non, ne sont pas dupes. Ils voient qu’il existe un deux poids deux mesures.

Cela n’est malheureusement pas nouveau dans notre pays.

Mais de nombreux autres facteurs rendent cette affaire extrêmement sensible aux yeux du grand public : les multiples dénonciations d’abus sexuels à l’encontre de personnalités politiques de haut rang qui se multiplient,  la surmédiatisation et le symbole que représente Tariq Ramadan qui concentre toutes les attentions, le contexte difficile au Moyen-Orient qui rajoute à la tension, cette volonté politique de vouloir une nouvelle fois réorganiser l’islam de France dans ce contexte qui interroge.

Mais tout cela n’a pas été un frein à l’expression d’une solidarité impressionnante, des soutiens et des marques d’affection pour lesquels nous sommes très reconnaissants. Il est réconfortant pour la famille et les amis de recevoir toute cette empathie en ces temps de lourde épreuve.

Notre pétition a reçu plus d’une centaine de milliers de signataires, ce qui est remarquable dans le contexte d’une campagne médiatique que nous subissons depuis le début de cette affaire.

L’appel aux dons pour soutenir les frais de justice a reçu un vif succès au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer.

Maintenant, en tant qu’êtres de foi, nous savons que cette épreuve a un sens et que la justice finira par se prononcer. Tariq, sa famille et tous ceux qui les soutiennent vivent des moments très difficiles. Mais, la vérité reprendra sa place, nous en sommes convaincus. Et les Hommes de vérité, les Justes en sortiront grandis. 

Car, comprenons-nous bien, avant de défendre un homme que nous aimons, nous défendons des valeurs communes qui nous constituent.

« S’il n’est pas soigné correctement, sa vie peut très vite être mise en danger »

Que savez-vous de l’état de santé de Tariq Ramadan aujourd’hui ?

Nous sommes inquiets. Nous savons que Tariq va très mal. Il perd la sensibilité de ses membres inférieurs et souffre de douleurs importantes.

Les juges ont décidé que sa maladie ne justifiait pas sa libération. Mais il a été hospitalisé en urgence deux fois en moins de 15 jours. Nous ne comprenons pas la décision des juges.

Qu’est-ce qui motive cet acharnement ?    

S’il n’est pas soigné correctement, sa vie peut très vite être mise en danger. Les conséquences en seraient dramatiques pour tout le monde.

S’il y a une chose que vous voudriez que les gens sachent sur cette affaire, quelle serait-elle ?

Nous voulons simplement de l’objectivité, du sens et de la clairvoyance. Ce sont les conditions de la vérité et d’une justice saine.

Quoi qu’on en dise et quoi qu’on en pense, Tariq Ramadan a le droit de bénéficier d’un traitement équitable. Il s’est rendu ce fameux 31 janvier à Paris avec une confiance totale en la justice. Ni lui ni nous n’avons pensé que l’éventualité d’une détention provisoire était possible. C’est un coup dur pour sa famille, pour nous ses proches, et pour l’ensemble des gens qui le soutiennent.

Mais nous sommes confiants, malgré tout. Nous avons un engagement envers les valeurs auxquelles nous croyons, envers la communauté musulmane qui nous fait confiance et envers la société auquelle nous appartenons.

Cet engagement est celui de promouvoir le vivre-ensemble, de défendre la justice, le droit et la vérité en France et dans le monde.

Quelle que soit l’issue de l’affaire de Tariq, nous continuerons avec tous les Justes à œuvrer et à nous exprimer sans relâche pour ne pas laisser notre pays s’abandonner à des déviances d’une autre époque.

C’est notre droit et notre devoir.

© Photo : capture d’une vidéo d’une conférence organisée par le Research Center for Islamic Legislation and Ethics (CILE Center).