Un parti musulman français aux élections ? L’idée surprend. Si bien que, en février dernier, l’extrême droite s’emparait du sujet. Le député du Rassemblement national Gilbert Collard dénonçait alors la présence d’une liste de l’Union des démocrates musulmans français (UDMF) pour les élections européennes qui auront lieu ce mois-ci.


Pourtant, ce n’est pas la première fois que l’on entend parler de formations musulmanes. Au niveau local, ces partis ont déjà fait élire plusieurs de leurs membres. Mais cette fois, l’UDMF veut jouer un rôle au niveau européen. Sur son site de campagne, l’UDMF promeut « une Europe au service des peuples (…) face à une Europe aujourd’hui entre les mains des lobbyistes mettant en concurrence les populations entre elles. » Nagib Azergui, fondateur du parti, nous explique sa démarche.

« Nous ne sommes pas des guides spirituels mais un parti »

LeMuslimPost : N’est-il que question d’islam à l’Union des démocrates musulmans Français ?

Nagib Azergui : L’Union des démocrates musulmans français n’est pas un parti confessionnel. Nous ne sommes pas des guides spirituels et nous ne nous substituons pas au travail des imams ou des savants. Nous considérons que cette mission n’est pas le rôle d’un parti politique.

Certes dans le sigle du parti UDMF, il est fait mention effectivement du mot « musulman » et non du mot « islam », pour une raison qui nous paraît évidente, c’est que le musulman occupe (bien malgré lui) le centre de tous les débats sociétaux, littéraires, philosophiques et politiques depuis plusieurs décennies.

Sur le terrain politique, il ne vous a pas échappé que le musulman était devenu un enjeu et un argument électoral récurrent servi en pâture à chaque rendez-vous électoral.

Il s’agit là, à n’en pas douter, d’une dérive et d’un problème hautement politique (et non communautaire ou religieux). Et à un problème politique, nous avons décidé de répondre par une réponse politique.

Cela veut dire que vous visez également les votes de non-musulmans ?

En tant que parti politique nous faisons naturellement campagne pour l’ensemble des Français sans distinction de croyance ou d’idéologie.

Sur le plan du rejet de plus en plus assumé envers la représentation des musulmans dans l’espace public français, il parait évident que ce problème ne doit pas être un problème « communautaire » qui ne devrait concerner que les musulmans. Logiquement, ce problème doit avant tout concerner l’ensemble du peuple de France puisqu’il touche au fondement même de notre modèle républicain.

De plus, il est important de souligner qu’au sein de notre mouvement, de nombreux cadres actifs, militants et colistiers n’appartiennent pas à la communauté musulmane mais ont parfaitement compris l’urgence de la situation dans notre pays. Nous visons donc les votes de l’ensemble des citoyens qui se reconnaissent dans nos valeurs et nos propositions.

Pourquoi alors insister sur cette spécificité musulmane dans votre parti ?

Aujourd’hui, nous avons des personnalités politiques de tous bords qui militent pour : une « racialité » de la France et une identité religieuse fantasmée de la Nation pour exclure en réalité tout un pan de la communauté nationale.

Des députés au parlement Européen, comme Madame Nadine Morano, nous expliquent que la France est de race blanche et de culture chrétienne et proposent de limiter le nombre de musulmans dans notre pays.

Des présidents de régions, à l’instar de Messieurs Wauquiez ou Estrosi, nous précisent qu’il existe des citoyens à part entière (des Français dit « de souche ») et des Français à part (issu eux des colonies).

Dans ce jargon, le musulman est sans cesse pris pour cible. Il est pointé systématiquement du doigt. Il fait l’objet de lois d’exception, il est taxé d’« ennemi de l’intérieur », de « 5e colonne », il est mis sous tutelle par des institutions qui devraient pourtant garder une neutralité en matière religieuse.

Vous comprendrez donc aisément pourquoi ce mot « musulman » ne doit plus être caché et pourquoi, les citoyens de confession musulmane doivent prendre la parole afin de contrer ces dérives, sans courber l’échine mais plutôt afin de rappeler que la France ne serait pas la France sans la contribution des musulmans.

Une contribution qui s’est exprimée par l’apport de la science islamique, par le sang versé par les combattants musulmans morts pour libérer notre pays durant la première et seconde guerres mondiales. Une contribution par la reconstruction du pays à la libération et qui est toujours visible aujourd’hui encore tant dans le domaine artistique, culturel, sportif qu’associatif.

L’objectif n’est donc pas d’insister sur une spécificité musulmane de notre parti, car comme nous l’avons précisé à maintes reprises, notre parti est laïque, respectant les lois de la République, mais pour répondre à une nécessité face à la banalisation de la haine du musulman qui va à l’encontre du « vivre-ensemble et d’agir ensemble ».

Comment vous placez-vous sur l’échiquier politique ?

L’UDMF est un mouvement de Gauche. Nous sommes très attachés à la valeur du travail qui, contrairement aux idées reçues, est une valeur de Gauche. Nous sommes également profondément attachés à la famille qui, là aussi en est bien une.

Vous avez dû voir toutes ces mères de familles qui vont cumuler des emplois précaires afin de boucler les fins de mois en sacrifiant leurs santés uniquement pour subvenir à leur famille.

La droite a voulu réduire les valeurs de Gauche à l’assistanat, amalgamant toutes les familles à des familles non responsables, prêtes à s’endetter pour s’offrir des futilités. Une vision qui ne représente nullement la majorité de ces Français qui ne sont pas des héritiers, qui se lèvent tôt, se couchent tard et qui connaissent véritablement le prix du sacrifice.

Nous portons également les valeurs solidaires et d’entraide qui sont des valeurs aussi de Gauche parce que nous voulons mettre en place des solutions pour venir également en aide aux plus fragiles.

« Les idées de l’extrême droite sont déjà entrées au gouvernement »

Depuis la victoire de Macron, pensez-vous avoir plus de chances sans être une formation politique historique ?

Macron a suscité beaucoup d’espoir qui ont aujourd’hui laissé place au désespoir. Il en fut également de même en 2012 pour François Hollande et sa politique désastreuse (notamment pour les citoyens de confession musulmane) avec la nomination de Valls comme Premier ministre.

Avec l’adoption d’une loi pour interdire le voile à l’Assemblée nationale en janvier 2018, nous pouvons aujourd’hui constater que les idées de l’extrême droite sont déjà entrées au gouvernement.

Beaucoup de citoyens ont compris qu’ils devaient aujourd’hui s’organiser et se représenter par eux-mêmes s’ils voulaient préserver leurs droits, leurs libertés et celles de leurs enfants. Ils ont pris conscience que dans les formations politiques traditionnelles, ils ne seraient considérés que comme la minorité utile, instrumentalisés, exploités et exposés en vitrine mais qu’ils se heurteraient inéluctablement au plafond de verre.

Avec l’UDMF, ils ont bien compris qu’ils avaient la certitude d’être écoutés mais surtout entendus.

On a vu des polémiques lorsqu’un parti musulman se présente à des élections locales en Europe, comme avec I.S.L.A.M en Belgique. Doit-on avoir peur de l’UDMF ?

C’est déjà le cas pour quelque personnage qui, à l’instar de Me Gilbert Collard a fait récemment un tweet sarcastique disant : « Pour la première fois, la France aura une liste musulmane, donc confessionnelle, aux élections européennes sous la tunique de la démocratie ». Nous avons déjà essuyé les plâtres par le passé et à chaque nouvelle élection. Mais ce ne sont pas ces voyous de la République qui nous feront peur.

Les politiques ont fait en sorte que le musulman soit uniquement synonyme de peur alors qu’il est avant tout un citoyen aspirant à vivre en paix avec les mêmes droits que ses concitoyens. En toute logique, dans un Etat de droit, personne ne devrait avoir peur de notre formation politique. Nous ne sommes pas là pour mettre en place le « Grand remplacement » de la République par la charia.

Quels sont vos objectifs lors des européennes ?

Notre slogan de campagne est celui-ci : « En 2019, le seul vote utile, c’est l’UDMF », parce que nous sommes aujourd’hui l’unique formation politique qui lutte contre la montée de l’extrême droite. Car l’idéologie première de l’extrême droite (partout en Europe) repose sur la détestation des musulmans. Les partis aujourd’hui en place, au lieu de lutter contre ce fléau, ont plutôt cherché à récupérer son électorat en utilisant la même rhétorique identitaire.

De plus, cette élection nous permet également de mieux faire connaître notre formation politique puisque nous ne disposons pas encore de la même couverture médiatique que les autres partis en place.

Que changerait la présence d’un élu UDMF au Parlement européen pour les musulmans français ?

Un député au parlement européen avec une étiquette UDMF serait d’abord historique notamment dans un pays qui est devenu une véritable fabrique de haine envers les musulmans.

Cela permettrait à tous les médias internationaux de nous tendre les micros pour véhiculer autre chose que les discours identitaires ambiants et pour lutter pour préserver nos libertés individuelles mis en périls aujourd’hui.

Enfin cela permettrait surtout pour nous de recentrer les débats sur les véritables préoccupations de la majorité des Français en commençant par « désislamiser » les sujets.

« Nous sommes un parti français affranchi de l’influence des consulats ou d’ONG internationales »

Êtes-vous allié avec d’autres formations musulmanes, en France ou en Europe ?

L’UDMF est la plus ancienne formation politique en France même si nous n’avons à ce jour que six années d’existence. Six années extrêmement actives et fécondes qui nous ont permis de nous implanter sur une large partie du territoire français.

Nous avons inspiré la vocation de certaines personnes depuis sur ce terrain et même si nous en avons rencontré certaines d’entre elles, nous avons choisi de garder notre indépendance pour ne pas être inféodé à une puissance étrangère. Nous sommes un parti français affranchi de l’influence des consulats ou d’ONG internationales.

En France, nous ne sommes donc alliés avec aucune formation politique

En Europe, nous avons rencontré les responsables du parti musulman (PRUNE) en Espagne avec qui nous avons de très bons rapports. Egalement, un mouvement en cours de formation sous l’étiquette de l’UDME, l’Union des démocrates musulmans espagnols, et avec qui nous collaborons en ce moment.