M. Saied, théoricien de la Constitution aux convictions conservatrices, a remporté plus de 70% des voix selon les sondages – 72,5% selon l’institut Emrhod, 76,9% selon l’institut Sigma.

Immédiatement après la publication de ces sondages vers 20h00 (19h00 GMT), des milliers de personnes se sont rassemblées sur l’avenue Bourguiba, dans le centre de Tunis, klaxonnant et chantant l’hymne national.

« C’est un jour historique: la Tunisie récolte les fruits de la révolution », a estimé Boussairi Abidi, un mécanicien de 39 ans. « Kais Saied va en finir avec la corruption, il sera un président juste ».

Les résultats officiels ne seront pas connus avant lundi.

Kais Saied a remercié « les jeunes qui ont ouvert une nouvelle page de l’histoire », lors d’une brève apparition devant ses partisans et la presse dans un hôtel.

Environ 90% des électeurs de 18 à 25 ans ont voté pour l’universitaire, selon les estimations de l’institut de sondage Sigma, contre seulement 49,2% des plus de 60 ans.

« Je vais porter ce message » de la révolution de 2011, a-t-il assuré. « Chacun a choisi qui il voulait, en toute liberté. Notre projet est basé sur la liberté. L’époque de la soumission est finie. Nous venons d’entrer dans une nouvelle étape de l’histoire », a-t-il martelé.

Son rival Nabil Karoui, fondateur de la chaîne de télévision Nessma et poursuivi pour fraude fiscale et blanchiment, a déploré un « déni de justice », estimant avoir été très pénalisé par son incarcération durant 49 jours en pleine campagne électorale.

« C’est comme faire les jeux Olympiques et on casse un genou avant de faire les 100 mètres », a-t-il déclaré, ajoutant « On veut se défendre ».

Pour ce troisième scrutin en un mois, la participation a été nettement plus élevée qu’au premier tour, atteignant 57,8% avec seulement 70% des bureaux pris en compte. Pour le premier tour le 15 septembre, moins d’un électeur sur deux s’était déplacé.

Kais Saied, qui n’a aucune expérience du pouvoir et s’est entouré d’une poignée de partisans néophytes en politique, était arrivé en tête du 1er tour, après une campagne de terrain low cost, créant un séisme au sein de la classe politique.

Le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, arrivé en tête des législatives du 6 octobre avec 52 sièges au Parlement (sur 217), a appelé ses partisans à se rendre dans le centre de Tunis pour fêter la victoire de Kais Saied.

Ce dernier, farouchement indépendant, a exclu tout accord avec les partis. Ennahdha avait toutefois appelé à voter pour lui. En revanche, rares avaient été les appels explicites à voter pour M. Karoui.

– Saga politique –

La mort en juillet du premier président tunisien élu démocratiquement au suffrage universel, Béji Caïd Essebsi, a avancé la présidentielle de quelques mois, précipitant le pays dans une période politique mouvementée.

Il y a d’abord eu l’arrestation fin août de Nabil Karoui, qui caracolait dans les sondages – une arrestation politique selon M. Karoui.

Le premier tour mi-septembre a emporté l’ensemble de la classe politique qui était en place au cours de la période post-révolution.

Candidat sans parti, M. Saied, 61 ans, avait obtenu 18,4% des voix, en exaltant les valeurs du soulèvement de 2011 et en prônant une décentralisation radicale.

M. Karoui, 56 ans, avait obtenu 15,6% des voix depuis sa cellule de prison.

Les deux hommes, en rupture avec l’élite politique, ont bénéficié du vote sanction d’électeurs exaspérés par les chamailleries politiciennes et l’horizon économique bouché.

Si la sécurité s’est nettement améliorée ces dernières années, après une série d’attentats jihadistes dévastateurs en 2015, le chômage continue de ronger les rêves, notamment des jeunes, et l’inflation grignote un pouvoir d’achat déjà faible.

– « Consultations » –

Dernier coup de théâtre, M. Karoui a été libéré in extremis mercredi, permettant la tenue d’un duel télévisé sans précédent et très suivi: plus de 6 millions de téléspectateurs, selon un institut de sondage, soit plus d’un Tunisien sur deux.

Alors que la Constitution de 2014 fait la part belle au Parlement, les regards se tourneront après ce second tour vers Ennahdha, chargé de former le nouveau gouvernement, une tâche ardue.

« Nous avons commencé nos consultations », a indiqué le chef du parti, Rached Ghannouchi, qui devra rallier de nombreux autres blocs pour atteindre la majorité de 109 sièges au Parlement.

« En principe, c’est Ennahdha (qui dirige le gouvernement, ndlr) mais après les consultations plusieurs scénarios sont possibles », a-t-il souligné. L’hypothèse d’un gouvernement de technocrates a aussi été évoquée.