Aux Etats-Unis, « The Hate U Give », sorti il y a un an, a été numéro un des ventes « jeunes adultes » dans le classement du New York Times pendant plus de six mois (plus de 750 000 exemplaires écoulés). Le livre a depuis été édité dans près d’une vingtaine de pays. Un énorme succès pour Angie Thomas, son auteure, qui à 30 ans, vient de voir son premier roman paraître en France, le 5 avril dernier. 

Dans celui-ci, écrit pour les adolescents, elle raconte l’histoire de Starr, 16 ans, jeune fille noire d’un quartier difficile, marqué par les guerres de gangs, la drogue, et les contrôles de la police. Un quotidien rythmé également par les cours dans son lycée blanc d’une banlieue chic, où elle effectue un saut chaque jour entre deux mondes. 

Un jour, la jeune fille voit son ami d’enfance, Khalil, tué sous ses yeux par la police, de  trois balles dans le dos. Tout le quartier s’embrase alors et la police cherche à étouffer l’affaire. Seule témoin, Starr fait face à un dilemme : doit-elle parler alors que les gangs font pression sur elle ? Son témoignage permettra-t-il vraiment d’innocenter l’adolescent décédé et de rendre justice à sa communauté ? 

« The Hate U Give » un titre inspiré de « Thug Life » du rappeur Tupac

«Je tenais à écrire du point de vue d’une fille noire parce qu’on se focalise très souvent sur les garçons noirs. Les filles noires sont elles aussi victimes de violences policières, c’est juste que ça ne fait pas la une », confie à Libération Angie Thomas, elle-même afro-américaine. 

Dans ce roman, c’est d’ailleurs une part de son adolescence qui transparait. L’auteure est née en 1988 dans le secteur de Georgetown à Jackson Mississipi, l’un des quartiers les plus pauvres des Etats-Unis. Et comme elle, son héroïne collectionne les paires de baskets, se passionne pour Harry Potter, le Prince de Bel Air ou encore le groupe de R’n’B féminin TLC.

Mais Angie Thomas fait également référence à son rappeur préféré Tupac Shakur. Le livre prend en effet son titre de « Thug Life », le nom du groupe formé en 1993 et également tatouage de l’artiste. Pour ce dernier, mort d’une fusillade en 1996, cet acronyme signifiait : « The Hate U Give Litlle Infants Fuck Everyone », traduit dans le livre par : « Ce que la société nous fait subir quand on est gamins lui pète ensuite à la gueule ».

Son inspiration pour ce roman, Angie Thomas la tire aussi d’une sombre affaire en 2009. Alors qu’elle est à l’université, un jeune noir de 22 ans, Oscar Grant, est abattu par la police à Oakland en Californie. Cette tragédie lui donne alors envie d’exprimer par écrit sa colère et sa frustration. 

« Je veux aider les gens à comprendre pourquoi nous disons que les vies noires comptent »

Près de dix ans plus tard, la liste des victimes de violences policières s’est allongée, parmi lesquels beaucoup de jeunes. C’est donc tout naturellement à eux que l’auteure a souhaité s’adresser dans son roman. 

Mais « The Hate U Give », de part les sujets qu’il aborde : l’éducation, les violences urbaines, la drogue, le racisme et ses victimes, cible et veut sensibiliser un public beaucoup plus large. En effet, il est le premier roman à s’être inspiré du mouvement Black Lives Matter crée en 2013 par des militants afro-américains, combattant les violences policières et le racisme systémique contre les noirs. 

« Je veux aider les gens à comprendre pourquoi nous disons que les vies noires comptent », souligne d’ailleurs Angie Thomas à la BBC. 

« The Hate U Give » tente donc de mettre en avant le côté humain de toutes ces jeunes victimes, dont les noms sont malheureusement tombés dans l’oubli auprès du grand public. 

Le livre traite également la question de la criminalisation des victimes. Dans le roman, son ami Khalil était en effet loin d’être irréprochable, de part ses activités de dealeur. Doit-on alors minimiser la portée d’un tel geste de la part des policiers ? Les policiers sont-ils pour autant tous des traîtres ?

« The Hate U Give », bientôt adapté au cinéma

En tant qu’adolescente, Starr est aussi confrontée à plusieurs problématiques, soulevées dans le roman. Elle doit faire face au regard des élèves riches et blancs de son école et redouble alors d’efforts pour maintenir un comportement irréprochable, afin de donner la meilleure image de la communauté noire. Mais elle a également peur du jugement de cette dernière. Les siens la trahirait t-elle si elle sortait avec un garçon blanc ?

Des préoccupations de jeunes que l’auteure a voulu aborder directement avec eux. Depuis la sortie de son livre, Angie Thomas a donc rencontré de nombreux lecteurs dans les écoles aux Etats-Unis et à l’étranger. 

«Beaucoup de jeunes, en particulier de jeunes Noirs, me remercient pour ce livre parce qu’il est un miroir d’eux-mêmes », affirme Angie Thomas à Libération, satisfaite que des livres et des films avec des personnages noirs voient enfin le jour. 

L’adaptation au cinéma de « The Hate U Give » est d’ailleurs déjà lancée. Le film devrait sortir sur les écrans d’ici la fin d’année. 

Extraits du livre :

L’année de mes 12 ans mes parents ont eu deux conversations avec moi. La première, c’était sur les choux et les roses (…) La deuxième conversation, c’était pour m’expliquer quoi faire si un flic me contrôlait. Ça a énervé maman qui a dit à papa que j’étais trop jeune pour ça. Il a répondu qu’il n’y avait pas d’âge pour être arrêté ou se faire descendre. »

« La haine qu’on donne aux bébés fout tout le monde en l’air. On a fait tous ces trucs, hier soir parce qu’on avait la haine, et ça nous a tous foutus en l’air. Maintenant, il va falloir trouver un moyen de défoutre en l’air tout le monde. » 

« Tu crois que les flics ont vraiment envie que Khalil obtienne justice ? je lui demande.

Tap, tap, tap, tap. Tap…tap…tap… La vérité jette une ombre sur la cuisine : les gens comme nous dans des situations comme ça deviennent des hashtags mais obtiennent rarement justice. Et pourtant je crois qu’on attend tout ce jour. Le jour où ça finira bien ». 

« Papa se fige. Il me regarde. Je lis dans ses yeux le combat intérieur qu’il est en train de livrer. Je compte plus pour lui qu’une révolte. Je suis son bébé et je le serai toujours, et si ne pas parler me protège, alors il préfère que je me taise. 

N’empêche, tout ça a plus de portée que Khalil et moi. C’est de Nous qu’il est question, avec un N majuscule. De tous ceux qui nous ressemblent physiquement, qui se sentent comme nous et vivent cette douleur avec nous même s’ils ne nous connaissent pas. Et mon silence ne Nous aide pas. »