On ne peut pas s’empêcher de suivre ce débat, absolument passionnant tant il n’intéresse que peu de monde, sur la question des signes religieux au sein de l’Assemblée Nationale. En effet, il a été décidé que, désormais, les signes religieux ou distinctifs ne seront pas admis dans l’Hémicycle de l’Assemblée. D’aucuns n’ont pas hésité à convenir, avec un raisonnement fallacieux défiant toute concurrence et un sens du maccarthysme extraordinairement développé, que les opposants à une telle mesure étaient de sombres islamistes, opposés à la laïcité.

Il faut toutefois rappeler que l’Assemblée Nationale est censée représenter le peuple. La France est riche de sa diversité, à savoir des personnes arborant un signe religieux et d’autres non, des personnes avec des maillots de foot et d’autres avec des kimonos. Réduire l’expression d’une tendance à l’Assemblée Nationale à la neutralité ne reviendrait-il pas à neutraliser en réalité la diversité française ? N’oublions pas que les représentants nationaux ne sont pas les représentants du service public, ce sont des élus de la Nation. Limiter la libre expression dans l’enceinte qui l’a justement incarnée, à travers le vote de la loi de 1905 ou encore le vote sur la loi relative à la liberté d’expression, semble tout à fait contreproductif, sinon incohérent.

Ensuite, il convient de rappeler, à tous les tenants de l’athéisme d’Etat — puisque c’est de cela qu’il s’agit en l’espèce — que l’Etat laïque n’est pas athée — l’athéisme ne représentant qu’une philosophie de pensée étrangère à un Etat dit laïque qui ne reconnait rien. Si l’Etat n’est pas athée, mais laïque, et que les élus sont les représentants du peuple, pourquoi ne pas les laisser arborer l’accoutrement qu’ils désirent, qu’il s’agisse du maillot de foot de François Ruffin ou encore de la soutane de l’Abbé Pierre ou de la kippa de Meyer Habib et de Claude Goasguen ? On remarquera, encore une fois, qu’on a rarement, sinon jamais, vu une députée porter le voile islamique mais que les débats ont toujours la fâcheuse tendance à se concentrer sur cela.

Comme le rappelle très pertinemment Bismatoj dans un billet d’humour qu’il propose à Médiapart, le Conseil d’Etat a d’ailleurs précisé que les élus n’étaient pas tenus par le port d’une tenue faisant abstraction de toute manifestation religieuse :

« Aucune norme constitutionnelle, et notamment pas le principe de laïcité, n’impose que soient exclues du droit de se porter candidates à des élections des personnes qui entendraient, à l’occasion de cette candidature, faire état de leurs convictions religieuses » (CE, 23 décembre 2010, n° 337899).

En réalité, les tenants du débat confondent toujours, comme le rappelle pertinemment Marik Fetouh dans le Cahier de la Lutte Contre les Discriminations, sécularisation et laïcité. Ils pensent que les désidératas de ces derniers, emporter la religion loin de la sphère publique, reflètent la laïcité qui n’a pourtant pas à se mêler de l’éloignement ou du rapprochement du religieux.

Une telle approche est une énième atteinte à la laïcité qui, quelques années plus tard, va être, selon les dires de ces mêmes tenants de l’athéisme d’Etat, un des règlements qui fonde le pacte laïque français ! Drôle de vision de la laïcité qui consiste donc à neutraliser la liberté d’expression dans une enceinte qui l’a toujours incarnée par la diversité de ses débats.

Mais comme la mauvaise foi est souvent sans limite, accoler le fameux terme « d’islamiste » ou « proche du PIR » est devenu le moyen le plus efficace pour écarter toute idée contraire, dans ce pays censé incarner les droits de l’homme, la démocratie et la pluralité d’opinion de pensée !

* Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur et conférencier spécialiste de l’Islam et de la laïcité. Il a écrit « Outils pour maîtriser la laïcité » publié aux éditions La Boîte à Pandore.