CIVICUS Monitor, collaboration internationale évaluant les libertés fondamentales dans 197 pays, a publié en mars un nouveau rapport (People Power Under Attack 2022) rétrogradant le régime du Tadjikistan de « réprimé » à « fermé ». D’après l’organisme, les mesures répressives prises par les autorités tadjikes suite aux manifestations de masse dans la région autonome du Gorno-Badakhshan (GBAO) justifient cette rétrogradation.
« Fermé », voici la note attribuée au Tadjikistan par CIVICUS Monitor, la collaboration de recherche mondiale qui évalue et suit les libertés fondamentales dans 197 pays et territoires. C’est la pire note qu’un pays puisse recevoir. La Russie, l’Arabie saoudite, la Chine, la Syrie, l’Iran, le Turkménistan et l’Ouzbékistan sont aussi classés comme fermés.
En clair, cela signifie qu’un climat de peur règne au Tadjikistan, où des citoyens sont régulièrement attaqués et emprisonnés pour avoir exercé leurs droits fondamentaux à la liberté d’expression, de réunion ou d’association.
Le mois de mai dernier a notamment abouti à des mesures répressives ayant poussé le CIVICUS à catégoriser le Tadjikistan comme un pays fermé. Des milliers de personnes ont manifesté dans la région autonome du Gorno-Badakhshan (GBAO) pour demander la démission des autorités compétentes suite à une opération de police ayant entraîné la mort d’un jeune homme. Une manifestation de masse similaire s’était déroulée en novembre 2021.
Dans les deux cas, le régime tadjike a réprimé les manifestations et effectué des opérations de sécurité entachées d’allégations de recours excessif à la force, de détentions arbitraires, de tortures et autres meurtres de détenus. Les autorités ont également imposé des coupures d’Internet dans toute la région pendant plusieurs semaines. Aucune enquête impartiale sur la violation des droits humains n’a pour le moment été menée.
Le CIVICUS Monitor et le partenariat international pour les droits de l’homme (IPHR) s’inquiètent de la répression croissante effectuée sur les personnes dénonçant les événements du GBAO. 20 militants des droits de l’homme et journalistes ont notamment été arrêtés et poursuivis.
Le 9 décembre dernier, la Cour suprême du Tadjikistan a condamné à de longues peines de prison plusieurs militants des droits humains qui surveillaient, documentaient et aidaient les victimes de la répression gouvernementale à GBAO. L’avocat des droits humains et directeur de l’Association des avocats du Pamir Manuchehr Kholiknazarov a par exemple été condamné à 15 ans de prison. La défenseure des droits humains et journaliste Ulfatkhonim Mamadshoeva passera quant à elle 21 ans derrière les barreaux.
« Nous sommes consternés que plusieurs défenseurs des droits humains et journalistes tadjiks aient été condamnés à de longues périodes derrière les barreaux à l’issue de procès fictifs à motivation politique qui ne respectaient pas les normes internationales. Ils ont été condamnés en représailles apparentes pour leurs activités de défense des droits humains et leur travail journalistique autour des politiques répressives du gouvernement tadjik dans le GBAO et devraient être immédiatement libérés », s’insurge la directrice de l’IPHR Brigitte Dufour.
Au-delà du cas de GBAO, les voix dissidentes sont immédiatement muselées dans le pays. Les militants de la société civile, les journalistes, les avocats indépendants et les militants des droits humains font l’objet d’intimidations quotidiennes.
Il y a également de moins en moins de place pour les organisations de la société civile (OSC) travaillant sur des questions perçues comme sensibles par le pouvoir tadjike. Nombre d’entre elles subissent des pressions, des harcèlements et des menaces de fermeture.
Le CIVICUS Monitor dénonce les récentes fermetures arbitraires d’ONG, comme le Centre indépendant pour la protection des droits de l’homme (ICHRP), liquidé en janvier par la justice sur la base de motifs fallacieux et non fondés. L’ICHRP travaillait sur le droit au logement, fournissait une assistance juridique aux victimes d’expulsions forcées ou de tortures et aidait les journalistes harcelés.
« La fermeture forcée de l’ICHRP est contraire aux obligations internationales du Tadjikistan en matière de droits de l’homme et en contradiction avec sa candidature à l’adhésion au régime de préférences commerciales SPG+ de l’UE, qui exige le respect des obligations fondamentales des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, y compris celles protégeant le droit à la liberté d’association », souligne Brigitte Dufour.
Le CIVICUS Monitor et l’IPHR tirent également la sonnette d’alarme concernant la liberté de la presse au Tadjikistan. Les médias indépendants n’ont aujourd’hui plus aucun espace pour s’exprimer puisque le régime bloque tous les sites d’information ou médias sociaux critiquant sa politique.
Mary Lawlor, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, a quant à elle exprimé de grandes inquiétudes vis-à-vis de l’engagement civique dans le pays. « Le gouvernement doit reconnaître que les défenseurs des droits humains ne sont pas l’ennemi, ils travaillent également pour des sociétés pacifiques, justes et équitables et ne doivent pas être confondus avec de véritables extrémistes et terroristes », a-t-elle indiqué à la suite de sa visite au Tadjikistan en décembre 2022.
La répression effectuée par le Tadjikistan ne semble toutefois pas le mettre au ban des nations. Fin février dernier, le secrétaire d’Etat américain Antony J.Blinken a par exemple rencontré à Astana le ministre des Affaires étrangères tadjik Sirojiddin Muhriddin.
Selon le porte-parole du département d’Etat américain Ned Price, les deux hommes ont « discuté des moyens par lesquels les deux pays peuvent mieux collaborer sur les opportunités économiques et la coopération en matière de sécurité par le biais de formats bilatéraux et multilatéraux. Antony J.Blinken a réaffirmé la nécessité d’une coopération étroite sur les questions liées à l’Afghanistan, y compris la défense du respect des droits des femmes et des filles en Afghanistan ».
Toujours selon Ned Price, le secrétaire a rappelé le souhait des Etats-Unis « d’être un partenaire fiable du Tadjikistan et a réitéré son soutien à la souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale du Tadjikistan.
De son côté, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) explore avec le Tadjikistan les moyens qui permettront de libérer son potentiel économique. Une stratégie visant à créer un environnement ouvert aux investissements et aux entreprises.
Le bilan inquiétant des libertés civiques au Tadjikistan se reflète à travers le monde. 26 autres pays sont désormais classés comme « fermés ». Les données de CIVICUS Monitor montrent qu’il y a de moins en moins d’espace offert aux gens pour exercer leurs libertés fondamentales. Seulement 3% de la population mondiale vit aujourd’hui dans des Etats « ouverts ».