Le film « Soumaya », réalisé par Waheed Khan et Ubaydah Abu-Usayd raconte l’histoire d’une femme musulmane, cadre dans une société de transport qui assure le service de sécurité des pistes de l’aéroport de Roissy. Employée depuis quatorze ans, elle apprend subitement qu’elle est mise à pied, après avoir subi une perquisition à son domicile familial. Le soir-même, elle découvre à la télévision les raisons de son licenciement. S’en suit alors une bataille judiciaire pour faire valoir son innocence.

Le combat de Soumaya raconté dans le film, est inspiré d’une histoire vraie, défendue par le CCIF. Le film met ainsi en lumière les dérives de l’Etat d’urgence notamment à travers des perquisitions excessives mais aussi la suspicion grandissante envers les musulmans en France suite aux attentats. Il revient également sur la problématique des assignations à résidence et des nombreux licenciements abusifs de bagagistes musulmans des aéroports de Paris.

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LeMuslimPost : Quel a été le point de départ du film ?

Ubaydah Abu-Usayd : En 2016, à peu près un an après l’instauration de l’état d’urgence j’ai été amené à filmer une personne qui avait été perquisitionnée en présence de sa fille à 4h du matin. Elle m’a raconté ce qui s’était passé et ce qui m’a intéressé c’est de voir la petite fille qui écoutait sagement sa maman raconter cette histoire douloureuse. Je trouvais que c’était très beau et que ça pouvait faire l’objet d’un film. J’ai donc contacté le CCIF qui a géré son affaire. J’ai demandé l’autorisation pour avoir accès au dossier et j’ai contacté également l’avocat de la victime. Après avoir pris contact avec les personnes concernées j’ai commencé à écrire le scénario avec mon épouse.

Qu’avez vous voulu montrer à travers l’histoire de Soumaya ?

Ce qui est intéressant dans ces affaires c’est qu’elles sont nombreuses et assez similaires. Elles font généralement l’objet de quelques lignes dans un article, où la vie de ces personnes est étalée sans qu’elles ne soient écoutées. On ne les interroge pas sur l’impact de l’état d’urgence dans leur vie. Il y a eu quelques témoignages poignants de scènes humiliantes vécues lors des perquisitions mais la force du cinéma est de montrer cela en images ainsi que l’évolution de ces personnes. Car ce traumatisme dure dans le temps. L’idée était donc de souligner les effets psychologiques sur la vie des personnes et ce qu’elles deviennent ensuite. Au delà de la question politique et de l’engagement, on a voulu montrer les répercussions de ces affaires dans le cercle familial.

Il était donc important pour vous d’aborder le sujet des perquisitions et des licenciements abusifs autrement que par ce qu’en disent les médias ?

On a adopté le point de vue des personnes qui ont été perquisitionnées. Généralement les médias adoptent le point de vue des institutions, de la police, de l’Etat. Seules les quelques associations qui ont géré les dossiers ont adopté le point de vue des personnes perquisitionnées ou licenciées. Ce film, basé sur des faits réels, adopte donc ce point de vue là et raconte de l’intérieur comment ça se passe. Cet intérieur personne ne le connait. La personne concernée par cette affaire dans la vraie vie a vu le film et elle était contente car c’était assez fidèle à ce qui était arrivé à sa famille.

Vous montrez en parallèle de l’histoire le départ de l’ex-mari converti, un bagagiste musulman licencié qui accepte sa situation, la mère de Soumaya qui ne veut pas que sa fille fasse de vagues. Vous avez voulu montrer des points de vue différents sur le vécu de l’islam et sur les réactions face aux discriminations ?

Soumaya, dès la perquisition, entreprend une sorte de voyage initiatique, et tente de savoir quelle position adopter pour mener son combat. Doit elle se battre ou pas et de quelle façon ? Elle tombe donc sur plusieurs personnages dans le film, qui ont des positions différentes. Il y a Bashir le bagagiste qui lui est très détaché de toute l’affaire, sa mère qui veut protéger la famille, son ex-mari qui est hors du pays et ce personnage de l’avocat tiraillé, pris entre deux postures : la posture républicaine et une autre, républicaine aussi, mais qui est de défendre les droits des personnes ayant une pratique religieuse. Soumaya doit ainsi trouver sa propre façon de mener son combat.

A qui s’adresse ce film ?

Le film s’adresse à tous. Ma première intention est qu’il s’adresse d’abord aux personnes qui ont été perquisitionnées, que cela leur permettent de se reconnaître et d’évacuer une forme de douleur. Je pense que c’est plutôt réussi car nous avons déjà eu des retours de gens qui ont vécu ces choses. Le film s’adresse aussi aux institutions et aux personnes qui n’ont pas été touchés par cela. L’idée était de tendre un miroir aux institutions, aux employeurs pour leur montrer la violence de ce qu’ils font quand ils écartent des personnes de la société, de leur travail. Cette violence qui peut paraitre silencieuse est très bruyante à l’intérieur. Ce film s’adresse enfin aux « radicalisés de la laïcité ». Et je sais que cela les dérange. Ils estiment que c’est un film irresponsable parce qu’il dénonce des choses.

Le film dénonce notamment la violence des perquisitions, les licenciements abusifs… Sont-ils encore des sujets trop tabous en France pour être abordés ?

Ce sont probablement des sujets encore tabous en France. Mais le fait que le cinéma s’en empare c’est déjà un premier pas. Quand ces sujets ne sont traités que dans les médias, cela reste polémique. Alors qu’avec un film, c’est de l’art, de la poésie. Il est difficile de ne pas voir dans ce film, une vie qui veut simplement se déployer dans le décor français et qui en est empêchée malgré tout.

Avez-vous eu des retours aussi de femmes musulmanes qui portent le voile ?

Oui, des femmes qui portent le foulard ont réagi. Elles étaient contentes de voir une femme voilée à l’écran, pour la première fois. Dans le cinéma français c’est très rare. Les femmes voilées sont inexistantes. Une femme voilée on ne la voit jamais en héroïne. Si elle l’est, le point de vue adopté est souvent de dire « elle a une pression familiale pour porter le foulard, à quel moment va t-elle l’enlever ? ». Les films les plus plébiscités sont ceux qui racontent cela. L’islam dans le débat médiatique montre des femmes musulmanes oppressées par leur foulard. Là nous inversons complètement ce point de vue là. Il y a un vrai problème dans l’espace culturel cinématographique français. Ces représentations là ne sont pas faites. Il n’y a pas de grosses structures de soutien à des films qui racontent ce genre d’histoires de musulmans. On a d’ailleurs dû s’auto-produire, nous lancer par nous-mêmes.

Comment se passe la distribution du film ? Souhaitez vous porter plainte contre le Grand Rex qui a annulé la projection de Soumaya ?

Nous avons envoyé le film à des distributeurs et nous attendons des réponses. S’il n’y a pas de réponses positives, on se débrouillera par nous-mêmes, comme on l’a fait depuis le début. On ne veut pas perdre notre temps avec le Grand Rex et porter plainte pour cela. On espère juste pouvoir diffuser le film dans le plus grand nombre de salles en France et qu’il soit vu par un maximum de personnes.