Les groupes armés de Misrata, ville clé de la révolte qui a fait chuter le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, ont été depuis de tous les conflits dans ce pays déchiré par des luttes de pouvoir. Ils ont participé aux combats en 2014 pour le contrôle de la capitale Tripoli et en 2016 contre le groupe jihadiste Etat islamique à Syrte (est).

En avril, ils ont été appelés au front contre les forces du maréchal Haftar, l’homme fort de l’est libyen à l’origine de l’offensive contre Tripoli où siège le gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale.

Ces combattants sont réputés les plus puissants et les mieux organisés du pays. Et en cuisine, la machine semble aussi bien rodée.

A Misrata, à 200 km à l’est de Tripoli, 16 associations s’occupent de la préparation de leurs repas.

Celle d’al-Narjess qui reçoit des dons et des aides d’hommes d’affaires et de commerçants, est la plus importante, fournissant 2.000 plats par jour. Dans ses locaux installés dans une villa du centre-ville transformée en cuisine, l’agitation règne.

Une centaine de femmes s’y relaient deux fois par jour. Assises en cercles, elles découpent des légumes, font revenir de la viande ou pétrissent des pâtes, tout en répétant des chants de victoire, comme sur le front, ou scandant: « Dieu est grand, que Dieu soit loué ».

« Prix de la liberté »

Nawara Ali, 55 ans, vient tous les jours à 8H00 pile pour préparer les repas de rupture du jeûne musulman du ramadan qui sont envoyés au front.

Ses six fils ont tour à tour participé aux différents conflits en Libye. Quatre d’entre eux, Abdallah, Mohamad, Belgacem et Hassan, combattent aujourd’hui au côté du GNA.

« Même si je suis fatiguée et affaiblie par le jeûne, venir ici pour aider à préparer les repas pour nos fils combattants me remplit de bonheur », confie-t-elle.

« Des gens me demandent: +pourquoi laisser mes fils partir combattre au risque de les perdre?+ », poursuit-elle. « Je leur réponds que la Libye mérite ce sacrifice et que des milliers de nos jeunes ont payé de leur vie le prix de la liberté ».

Tel un chef de bataillon, Halima al-Gammoudi, supervise les opérations en cuisine. Au menu du jour, soupe, viande, pain fait maison et pâtes farcies.

Chaque repas est emballé et accompagné de l’étiquette « Association caritative al-Narjess pour le soutien de l’opération volcan de la colère », en référence au nom donné à la contre-offensive des pro-GNA.

Des bouts de papier sont glissés sous le cellophane. On peut y lire des vers de poésie en dialecte libyen ou de courts messages comme: « que Dieu vous ramène victorieux », « révolutionnaire jusqu’au bout » et d’autres moins poétiques, comme « que Dieu anéantisse Haftar et ceux qui sont avec lui ».

« Mère de martyr »

A bord de pick-up, des bénévoles acheminent quotidiennement la nourriture jusqu’au front.

Pour certaines mères, ces mots sont un moyen de remonter le moral des troupes et d’entretenir un lien avec leurs fils.

« Pendant plusieurs jours, nous n’avons aucune nouvelle de nos fils. Même les appels téléphoniques s’avèrent parfois difficiles, alors on utilise (ces mots) pour les encourager et leur souhaiter la victoire », explique Halima al-Gammoudi.

« J’ai une amie qui a deux fils sur le front. Elle m’a raconté que l’un d’eux lui avait dit que ces messages lui apportaient un peu de consolation, après plus d’un mois loin des siens », renchérit une autre, Zaynab Qatiche.

« Nos fils sacrifient leurs vies. Un repas préparé avec amour est la moindre des choses qu’on peut leur offrir », estime de son côté Fatima.

Cette dernière a perdu un de ses enfants dans la guerre, ce qui lui vaut d’être considérée à Misrata comme une « mère de martyr », un statut prestigieux.