Deux évènements ont marqué récemment l’actualité des relations bilatérales européo-égyptiennes: le retour de l’ambassadeur italien d’abord — un an après la brouille diplomatique causée par le meurtre de Giulio Reggiani vraisemblablement aux mains de policiers — et la promesse d’une aide d’un montant de deux millions d’euros de la part du Royaume-Uni, destinée à moderniser les forces de sécurité égyptiennesBusiness as usual en quelque sorte, au pays du Pharaon al-Sissi, dont la main de fer semble plus forte que jamais sur son pays.  

Les puissances occidentales se résolvent ainsi à la fuite en avant imposée par un Etat plus répressif et paranoïaque qu’il ne l’était alors avant 2011. Le dernier rapport  d’Amnesty International, fait état de l’usage de la torture dans les prisons et les commissariats d’Egypte. Certains décrivent des mécanismes connus d’avant la Révolution: la protection de l’individu face aux abus policiers, dans le système carcéral comme judiciaire, est inexistante. Les coups, les viols, ou les disparitions font partie des méthodes pour mater un peuple qui a osé se rebeller jadis contre le tyran.

La propagande d’al-Sissi tourne à plein régime

Plus récemment ce sont les homosexuels qui font l’objet d’une traque, après le concert du groupe libanais Mashrou’ Leila, sympathisants de la cause gay dans le monde arabe. Des drapeaux arc-en-ciel brandis quelques instants ont suffi pour déclencher l’arrestation de dizaines de personnes, dont certains ont été condamnés depuis pour « incitation à la débauche. » Conservatisme et autoritarisme, une rengaine bien connue. Avec le soutien intérieur des salafistes — le parti Al-Nour a soutenu le gouvernement mis en place après la destitution de Morsi — et extérieur de Riyad — aussi bien financièrement que diplomatiquement —, l’Egypte est devenue tout ce que les libéraux craignaient sous le gouvernement des Frères Musulmans, excepté qu’aujourd’hui, journalistes et militants des droits de l’homme sont bâillonnés, et la propagande d’al-Sissi tourne à plein régime. Le temps où le comédien Bassem Youssef singeait le Président Morsi à la télévision semble ainsi bien lointain. 

Au régime des libertés inexistantes s’ajoute un marasme économique persistant depuis la Révolution. Le pays se débat avec une balance commerciale déficitaire et un taux de chômage à 12,5 %. Avec de tels chiffres, le FMI a été appelé à la rescousse et le gouvernement applique consciencieusement le traitement de choc de l’organisation : les subventions aux produits de base sont réduites à peau de chagrin, la livre égyptienne a été fortement dévaluée, ce qui a pour conséquence de faire grimper l’inflation à 32 %. Les observateurs pointent le danger de la misère pour la stabilité à long-terme – dans un pays où déjà 44 % des actifs sont pauvres – et certains ne peuvent s’empêcher de voir les similitudes entre la situation avant 2011 et celle d’aujourd’hui.

La répression actuelle des Frères Musulmans et des militants des droits humains condamne à l’exil, au silence, ou à la radicalisation politique

Alors, peut-on s’attendre demain à voir des millions de manifestants envahir la place Tahrir et demander la chute du régime ? Peu probable, car la dynamique de la révolution s’est cassée dans une région aux prises avec les guerres en Libye, en Syrie, et au Yémen. La jeunesse arabe et l’ancienne garde ont désormais à l’esprit que les régimes ont durci leurs positions, et appris de leurs erreurs : en Egypte, l’état d’urgence vient d’être prolongé pour 3 mois. La répression actuelle des Frères Musulmans et des militants des droits humains condamne à l’exil, au silence, ou à la radicalisation politique. Le printemps égyptien était au contraire précédé d’une période d’ouverture notamment envers le parti islamiste et la visibilité des mouvements libéraux, avant que les élections de 2010 ne referment cette parenthèse, provoquant ainsi en partie le bouillonnement sociétal menant à février 2011. 

Les Egyptiens sont malheureusement aujourd’hui dans une impasse économique et politique, piégés dans le sous-développement et l’autoritarisme.