Quand Mohammad Rafiq aperçoit, dans la chaude lumière matinale, deux petites réfugiées rohingyas se couvrant le visage de thanaka, une poudre traditionnelle, il s’empresse de saisir l’instant avec son smartphone. A 19 ans, il documente en images la vie dans un camp au Bangladesh.

« J’ai tout de suite adoré cette photo, car elle reflète notre culture et l’innocence de ces petites filles qui ne veulent pas trop se rappeler la crise que nous traversons », confie-t-il.

Le photographe en herbe a trouvé refuge au Bangladesh, comme quelque 740.000 Rohingyas musulmans qui ont fui, en août 2017, la répression militaire birmane dans l’Etat de Rakhine, où la majorité de la population est bouddhiste. Ils ont échoué dans un vaste camp du sud du Bangladesh où se trouvaient déjà 200.000 autres Rohingyas.

Désormais, Mohammad Rafiq documente le quotidien de ce million d’infortunés. Il fait partie de la trentaine de jeunes Rohingyas sélectionnés par le Programme alimentaire mondial (PAM) pour participer au projet « Storytellers » (Conteurs d’histoires).

Pendant deux semaines, on leur enseigne les techniques de photographie et de vidéo par smartphone – la compréhension de la lumière, de l’exposition et des angles – ainsi que des techniques d’écriture.

Ensuite, les jeunes réfugiés partagent leurs histoires avec le public via Facebook, Twitter et Instagram, suscitant des réactions dans le monde entier.

« L’idée sous-jacente est de pouvoir restituer le récit (de leurs vies) aux personnes que nous assistons », explique Gemma Snowdon, porte-parole du PAM.

« Storytellers », projet développé également au Tchad et en Ouganda, est publié sur une page Facebook suivie par plus de 30.000 personnes.

La vie à travers l’objectif

Tous les Rohingyas y participant ont un objectif commun, celui de partager avec le reste du monde la vie telle qu’ils la voient se dérouler sous leurs yeux dans le plus grand camp de réfugiés du monde, avec ses hauts et ses bas d’émotion brute.

Minara était enceinte de quatre mois quand elle a fui la Birmanie. Elle a tourné et mis en ligne des vidéos montrant des réfugiés qui rafistolent leurs toits de fortune pour qu’ils résistent aux vents souvent violents.

Une autre, Hafsa Aktar, a publié une lettre déchirante à son père, resté en Birmanie, dans laquelle elle confie ses pénibles conditions d’existence et son profond désir de rentrer dans son pays.

L’opportunité de faire de la photo a redonné des ailes à Mohammad Rafiq, qui voulait poursuivre ses études en Birmanie mais en a été empêché par les autorités.

Quand il a eu 15 ans, son père lui a offert son premier smartphone. Fasciné par l’appareil, il s’est mis à explorer sa ville, située dans l’Etat de Rakhine, dans le nord de la Birmanie, et à photographier tout ce qui lui plaisait.

Avec la répression, sa jeune vie a volé en éclats. Il a dû fuir avec sa mère pour échapper à la violence et au cours de ce dangereux voyage vers le Bangladesh, il a perdu son smartphone, sa plus précieuse possession.

« Je suis arrivé au Bangladesh avec ma mère et trois petits frères après 10 jours d’une affreuse marche dans les montagnes », se souvient-il, assis dans une baraque du camp.

« J’aurais tellement voulu saisir ces moments d’angoisse que nous avons subi au cours de notre fuite », ajoute le jeune homme dont les photos ont fait une star sur Facebook.

L’une d’entre elles, vue 180.000 fois, représente une femme en train de méditer pendant le mois de Ramadan, montrant que la minorité musulmane est désormais libre de pratiquer sa religion malgré les conditions précaires.

« La presse internationale couvre les histoires des camps mais elle n’est pas là 24 heures sur 24, contrairement à moi », dit-il, estimant que ses récits sont plus authentiques. « Les gens apprennent dans mes histoires que nous sommes en quête de justice et que nous voulons rentrer chez nous ».

Certains jours, Rafiq se rend dans une partie surélevée du camp d’où il peut apercevoir, au loin, les collines de Birmanie enveloppées de nuages, et rêve de sa maison.

« J’ai des flashbacks de moments où je traînais avec mes amis et cela me rend très triste », confie-t-il, ajoutant qu’il espère un jour pouvoir rentrer au pays pour y devenir photojournaliste. « Ce serait l’accomplissement de mon rêve ».