Dans un mail adressé aux responsables de mosquées et aux institutionnels, Eldjida Makhloufi, présidente de la Commission de normalisation de l’AFNOR (Association française de normalisation), indique avoir publié une « norme expérimentale. » Il s’agit, explique la présidente de la commission, d’un « guide de bonnes pratiques de fabrication de denrées alimentaires transformées halal. » Autrement dit, l’AFNOR a mis en place une norme qui permettra, à l’avenir, d’« harmoniser les pratiques » des industriels qui souhaitent proposer des produits halal. Mais déjà, cette initiative a du plomb dans l’aile. Tout d’abord parce que, une nouvelle fois, les acteurs de l’Islam en France n’ont pas été conviés à participer à la mise en place de ce référentiel. En effet, selon un document interne de l’AFNOR que LeMuslimPost s’est procuré, ce sont la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs et transformateurs de viandes (FICT) de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), la direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière et l’Association des entreprises de produits alimentaires élaborés, ainsi qu’un représentant de l’industriel Doux qui ont élaboré la norme expérimentale.

La mosquée de Lyon ne veut pas de cette norme

Dans l’échange de mails que nous nous sommes procuré, le recteur de la mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, s’étonne d’ailleurs de ne pas avoir été mis à contribution. Dans un message très virulent, il se dit « étonné de voir apparaître la grande Mosquée de Lyon comme signataire de la norme expérimentale » et assure n’avoir « à aucun moment participé à l’élaboration de cette norme. » Le recteur dénonce « une manigance » et demande « avec la plus grande détermination de voir (son) nom ne pas figurer parmi les signataires de cette norme. » De son côté, l’AFNOR rappelle que, de toutes les manières, « la grande Mosquée de Lyon ne fait pas partie » de l’équipe d’élaboration de la norme. Quant à la grande Mosquée de Paris, elle assure dans un communiqué n’avoir « en aucune manière participé à l’élaboration de cette norme » et « met en garde les responsables de l’AFNOR de se prévaloir » de son accord.  Le CFCM, lui, rappelle qu’il a « annoncé publiquement en avril 2015 son retrait des travaux menés par l’AFNOR. » Pourtant, dans une interview à L’Usine Nouvelle, Eldjida Makhloufi assure qu’elle a « associé dès le début les différentes mosquées référentes de la certification halal (Paris, Lyon et Evry) et le Conseil National du Culte Musulman » a la mise en place de cette norme.

Eldjida Makhloufi, spécialiste de la charcuterie de porc

Mais alors, si les acteurs du halal — dont AVS, l’un des certificateurs les plus actifs sur le marché — se désolidarisent de l’initiative de l’AFNOR, que va devenir le référentiel tout juste né ? Et quelle valeur aura cette « norme expérimentale » si ces même acteurs — la mosquée de Lyon est également un certificateur reconnu, via l’Association rituelle de la grande Mosquée de Lyon (ARGML) — n’ont pas été mis à contribution ? Verrait-on l’AFNOR mettre en place une norme casher sans demander au Consistoire son avis ? L’initiative s’annonce déjà comme un flop. Et le pedigree de la présidente de la Commission de normalisation de l’organisme ne risque pas d’aider : Eldjida Makhloufi est en effet l’une des spécialistes de la charcuterie de porc, un animal prohibé dans l’Islam. On doit par exemple à Eldjida Makhloufi, membre de la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs et transformateurs de viandes de l’Ania, la « charte saucisson sec » ou encore un dossier sur les exportations de charcuterie sèche — de porc — aux Etats-Unis. La FICT édite par ailleurs le site LesCharcuteries.fr dont le slogan est « La France est la patrie des charcuteries. » Mais que vient faire une spécialiste du cochon dans le halal ?

L’AFNOR veut « la jouer offensive »

La responsable export & réglementation à la FICT ne semble voir dans le halal qu’un business en or, et l’AFNOR s’est simplement mis au service des industriels sans prendre en compte ce qui se faisait déjà dans ce secteur : « Nous ne nous basons pas sur du lobbying comme certains certificateurs, ni sur l’aspect religieux, mais sur des bonnes pratiques », explique-t-elle à L’Usine Nouvelle, affirmant qu’elle veut tout simplement « aider les entreprises françaises à se positionner sur un marché halal en pleine croissance. » Il est vrai que ce marché représente mondialement environ 600 milliards de dollars. Dans ce cadre, l’AFNOR veut avant tout « faciliter la relation client-fournisseur et valoriser un savoir-faire » français sur la base d’une sécurité alimentaire de premier plan. Et, alors que le marché du halal est aujourd’hui dans le flou en France, l’AFNOR espère en profiter pour coiffer les différents certificateurs au poteau : « Il a été décidé de la jouer offensive », explique Eldjida Makhloufi dans un second mail adressé celui-là aux industriels et aux institutionnels, sans que les recteurs de mosquées ne soient mis dans la boucle. « Afin de rendre ce référentiel efficace, il doit être utilisé par le plus grande nombre dans les relations entre partenaires économiques », explique l’AFNOR. Mais sans l’approbation des certificateurs qui œuvrent actuellement sur le marché du halal, la norme halal commune risque de rapidement tomber à l’eau. Du côté de l’AFNOR, les ambitions d’Eldjida Makhloufi ont peut-être été aiguisées par les rivalités entre certificateurs et, surtout, par la désorganisation du culte musulman français.