Publié il y a quelques mois par le SETA (Foundation for Political and Social Research) basé en Turquie, l’« European Islamophobia Report » est le second rapport de cet organisme sur l’islamophobie en Europe. Il est le fruit d’un long travail effectué en grande majorité par des chercheurs mais aussi par des acteurs de la société civile. Il fournit des données précises sur les actes antimusulmans dans les 27 pays concernés, et ce dans les domaines divers où ils s’expriment : la politique, les médias, internet, la justice, l’école ou encore dans le domaine de l’emploi. Mais il donne également une chronologie des actes antimusulmans dans chaque pays et recense les initiatives prises pour lutter contre l’islamophobie. Chaque rapport national, en plus des statistiques et des analyses, se termine par une série de recommandations des auteurs à leurs Etats respectifs afin d’enrayer le phénomène. Avec plus de 600 pages, ce rapport fait donc office de véritable « bible » sur l’islamophobie.

L’« islamophobie », un terme qui n’est toujours pas défini officiellement

Un des objectifs de ce rapport est de faire admettre l’islamophobie comme un vrai problème en Europe, et d’appeler les gouvernements à ne plus sous-estimer ce terme. En effet, aucune définition de l’islamophobie n’a pour le moment été officialisée et adoptée de manière commune. Le Conseil de l’Europe et l’OSCE ont légitimé ce terme, de plus en plus souvent utilisé en sessions plénières, en politique et dans les médias, mais il n’est pas reconnu comme un délit au niveau international, au même titre que d’autres formes de racisme. Les éditeurs lui donnent la définition suivante : « L’islamophobie est un racisme antimusulman. La critique des musulmans ou de leur religion n’est pas nécessairement de l’islamophobie. Mais l’islamophobie opère lorsqu’il est construit une identité statique du musulman, à laquelle est attribuée des termes dépréciatifs. L’islamophobie en dit plus sur les islamophobes eux-même, que sur les musulmans ou l’Islam. »

Cette image négative et cette hostilité envers le musulman, perçu comme « l’ennemi intérieur » est également confirmée par les récents sondages évoqués dans le rapport. En février 2017, le Chatham House, un Institut de recherche britannique, publiait les résultats d’une étude après avoir interrogé plus de 10 000 personnes de dix pays européens à propos de l’immigration de personnes venant de pays musulmans. Celui-ci a révélé que la majorité des Européens approuvent l’affirmation suivante: « Toute migration provenant de pays à majorité musulmane doit cesser », allant jusqu’à 71 % pour la Pologne, 61 % pour la France ou encore 53 % pour l’Allemagne.

Un autre sondage réalisé par Ispos en 2016 souligne également la peur de « l’islamisation de l’Europe ». Actuellement, la plupart des pays européens surestiment le pourcentage de musulmans dans leur pays. En France par exemple, on pense que 40 % de la population sera musulmane d’ici 2020, alors que la projection est plutôt de l’ordre de 8,3 %.

Les crimes de haine envers les musulmans recensés annuellement à l’OSCE

Ainsi, le rapport apporte plusieurs recommandations aux pays européens. Il les invite entre autres à créer une catégorie spécifique d’actes de haine envers les musulmans dans leurs statistiques, pour pallier au manque de données sur le sujet. Depuis 2011, l’OSCE (qui regroupe 57 pays dont la plupart sont européens) intègre dans son rapport annuel les actes antimusulmans que font remonter les ONG. Les crimes haineux antimusulmans sont ainsi définis comme des « crimes motivés par des préjugés envers les musulmans » et visent entre autres les mosquées, les cimetières, les écoles mais aussi les hommes avec une barbe et les femmes portant le foulard. Mais ces rapports de l’OSCE n’ont en général pas de véritables retombées dans les pays concernés. De même, cet « European Islamophobia Report » envoyé aux Etats et à leurs médias n’a pas eu l’écho escompté par leurs auteurs, qui assurent pourtant avoir privilégié la qualité à la quantité des informations reçues et avoir choisi les rapporteurs les plus fiables possibles pour chaque pays.

« Nous nous soucions de l’avenir des musulmans mais aussi de celui de l’Europe »

« L’islamophobie n’est toujours pas prise au sérieux par les pays de l’Union Européenne et elle est de plus en plus inquiétante. En effet l’islamophobie a dépassé le stade de l’animosité verbale envers les musulmans et s’exprime maintenant par des actes physiques qui les visent au quotidien. C’est pourquoi nous avons décidé de publier ce second rapport », souligne Farid Hafez, un des auteurs basé en Autriche, qui travaille depuis plus de dix ans sur le sujet à l’université de Salzbourg.

Le rapport insiste donc sur deux défis majeurs à relever, pour préserver la paix et la stabilité en Europe : lutter contre la propagation des partis populistes ou d’extrême droite mais aussi contre l’islamophobie, devenue un « racisme institutionnel » selon les auteurs. « Quand nous parlons d’islamophobie, nous nous soucions à la fois de l’avenir des musulmans mais aussi de l’Europe elle-même. Notre but n’est pas de pointer du doigt les islamophobes, mais surtout de montrer que nos démocraties sont en danger à cause de ce fléau », conclut Farid Hafez.

Le rapport est téléchargeable gratuitement sur le site de l’organisme : www.islamophobiaeurope.com