Dans le souk de Bab Srijeh, l’un des plus réputés de Damas, Abou Anas al-Hijazi scrute les étals de produits alimentaires mais renonce à acheter. Ses revenus ayant fondu avec la guerre, ce Syrien est contraint à un ramadan frugal.

« Nous avions l’habitude de convier six ou sept fois la famille et les amis à des repas copieux » pour l' »iftar », la rupture du jeune au coucher du soleil, se souvient cet homme de 45 ans, chanteur dans un groupe se produisant lors de mariages.

« Mais maintenant, j’invite une ou deux fois, tout au plus », ajoute-t-il.

Pour beaucoup en Syrie, pays à l’économie dévastée par plus de huit ans de guerre, les célébrations du ramadan ont dû se faire de plus en plus modestes.

Selon l’ONU, 83% de la population vit aujourd’hui sous le seuil de la pauvreté, contre 28% avant la guerre qui a éclaté en mars 2011 et fait plus de 370.000 morts.

Et 80% des ménages peinent à assurer leurs besoins alimentaires de base, selon le Programme alimentaire mondial (PAM).

« Cette année, nous offrons de petites portions à la place des festins », explique Abou Anas.

« Plus rien n’est pareil » qu’avant, regrette-t-il.

« Pas assez d’argent »

A l’instar d’Abou Anas, Rabbah Ammar souffre également des retombées socio-économiques de la guerre et contrôle strictement chaque dépense.

« Je viens au souk de Srijeh (…) car les prix y sont plus abordables », explique cette femme de 52 ans habitant au sud de Damas.

Elle a économisé des mois durant en prévision du ramadan et doit adapter les ingrédients qu’elle utilise pour respecter son budget.

« Nous avons remplacé les petits pois par les fèves car elles sont moins chères et les courgettes sont désormais farcies au riz à cause du prix élevé de la viande », raconte Mme Ammar.

A proximité, Abou Imad vaporise de l’eau sur les tomates charnues de son étal de primeurs pour leur donner belle allure.

Il affirme que les prix ont fortement baissé cette année.

« Le prix d’un kilogramme de concombres était de 700 livres syriennes (1,5 euro) l’année dernière (…) Aujourd’hui, il se vend à 200 » livres (40 centimes d’euros), précise-t-il.

Assis à côté de cagettes de légumes, Talal Chawkal observe passer les clients devant son petit magasin.

Il explique que la baisse des prix cette année était liée à une hausse de l’offre. Les fermes de la Ghouta orientale, une région proche de Damas que le régime a reprise aux rebelles l’an dernier au terme d’une offensive militaire meurtrière, ont en effet recommencé à produire.

Mais la demande n’est pas au rendez-vous car « les gens n’ont pas assez d’argent pour acheter », souligne-t-il.

Achat à l’unité

Porteur de courses depuis des années, Mohammad Imad Kobeissi pâtit également de l’érosion du pouvoir d’achat.

« Aujourd’hui, j’attends très longtemps avant qu’un client ne me demande » de l’aider, confie cet homme de 60 ans. La plupart des gens quittent le souk « avec un ou deux sacs » remplis tout au plus et « ils peuvent les porter sans moi », dit-il.

Sur l’un des trottoirs de ce souk populaire, Abou Ammar arrange courgettes et concombres sur le chariot de bois qui lui sert de stand.

« Je travaille sur ce marché depuis l’âge de 10 ans », explique cet homme de 60 ans.

« C’est la première année que des clients achètent les légumes à l’unité », raconte ce déplacé originaire de la Ghouta orientale.

« Je comprends très bien la situation des gens (…) Personnellement, j’ai dû vendre ma voiture pour pouvoir assumer les dépenses quotidiennes ».

Parfois, poursuit-il, « des clients me demandent seulement trois courgettes, je les leur donne gratuitement et leur demande en contrepartie de prier pour moi ».