Le 11 janvier dernier, à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), trois surveillants ont été attaqués par un détenu condamné pour l’attentat de Djerba en 2002. 

Un incident qui a mis le feu aux poudres, déclenchant une grève quasi générale dans les prisons françaises. Entre 120 et 130 prisons ont été concernées, sur les 188 du pays où travaillent 28 000 surveillants. 

« Les prisons françaises sont les pires d’Europe »

Ces derniers ont dénoncé leurs conditions de travail, la pénurie de personnels en milieu carcéral, la surpopulation des prisons ainsi que la gestion des détenus « radicalisés« , devenue trop difficile. Une crise qui n’est pas la première. En 2009, Rachida Dati avait reçu les représentants syndicaux des surveillants, puis François Hollande en avait fait de même en 2015. 

Depuis des années des ONG pointent du doigt les prisons françaises, jugées comme étant les pires d’Europe, avec un taux d’occupation d’environ 118 % en 2017. Plusieurs rapports ont rendu compte des « traitements inhumains et dégradants », établis notamment par l’Observatoire international des prisons du Conseil de l’Europe et des parlementaires de l’ONU. En 2011, la justice administrative française avait également condamné l’Etat à indemniser des détenus du fait de leurs conditions d’incarcération. 

« Une approche ultra-sécuritaire » pour les détenus radicalisés, jugée contreproductive par l’OIP

Un système pénitentiaire qui semble « à bout de souffle » désormais, selon les mots de l’Observatoire International des prisons (OIP). Dans un communiqué paru le 26 janvier, l’observatoire revient sur cette dizaine de jours de grève, qui s’est finalement soldée par un accord entre le ministère de la Justice et les syndicats. Les surveillants ont entre autres obtenu plus de 30 millions d’euros pour renforcer les indemnités perçues en complément de leur salaire. 

Mais l’OPI déplore le choix du gouvernement d’avoir cédé « à certaines revendications les plus répressives des syndicats » et cette « régression (…) attentatoire aux droits de l’homme ». 

En effet, il a été annoncé la création de 1 350 places supplémentaires au sein de six quartiers pour détenus violents, « une approche ultra-sécuritaire de la prise en charge des détenus considérés comme radicalisés ou dangereux » écrit l’OPI. Ce dispositif s’accompagnera de fouilles régulières, de changements de cellules, de restriction des effets personnels et des contacts avec les autres détenus.  

Mais l’isolement et le renforcement des contrôles de détenus dit « radicalisés » sont-elles des solutions efficaces ? Une approche permettant une réinsertion réussie ? « Si les détenus concernés n’ont plus aucun espoir de réhabilitation (…) le principal risque est de les voir s’ancrer dans le cercle vicieux de la violence », s’inquiète l’OPI. 

D’autant que la définition d’un détenu « radicalisé » pose toujours question, comme s’interroge le sociologue Farhad Khosrokhavar, dans une récente tribune pour le Monde : 

« Les surveillants surchargés suspectent les « barbus », ou ceux qui ont coupé leur barbe récemment, de radicalisation, alors que la perception des phénomènes de radicalisation en prison nécessite un personnel nombreux et expérimenté ». 

De « prosélyte » à « radicalisé », un basculement rapide dans la catégorisation des détenus

L’aumônerie musulmane est chargée depuis plusieurs années de ces questions, suite aux attentats. Pour Gaétan Dehondt, ancien aumônier musulman au centre pénitencier de Laon (02), il reste toujours complexe de définir un individu radicalisé. 

« Certains délinquants se mettent à pratiquer davantage, ils comprennent que la religion peut les aider et elle devient plus importante dans leur vie. Mais ils n’ont pas toujours les connaissances nécessaires et cela se ressent dans leur discours un peu maladroit. Sont-ils pour autant dangereux? ». 

« Il y a de plus en plus de déclarations d’inquiétudes irréalistes »  Samia El Alaoui, aumônière

Une réalité que Samia El Alaoui, aumônière dans plusieurs établissements de la région de Lille et secrétaire nationale de l’aumônerie musulmane dans les prisons, confirme également. « Auparavant les surveillants chargés de repérer les détenus dangereux disaient que certains étaient prosélytes, désormais ils les déclarent trop facilement comme radicalisés. Selon moi il y a de plus en plus de déclarations d’inquiétudes irréalistes ». 

Samia El Alaoui ne nie pas la dangerosité de certains individus, mais elle explique que la violence de détenus envers les gardiens n’est certainement pas directement corrélée à leur religion, prenant l’exemple de Christian Ganczarski, l’homme converti d’origine allemande qui a agressé les trois surveillants : 

« Je n’excuse pas ce qu’il a fait. Il est peut être ‘islamiste’ mais il n’a jamais causé de problème en détention et il a une femme enceinte qui l’attend dehors. Au moment des faits il venait d’apprendre qu’il allait être extradé vers les Etats-Unis, donc éloigné de sa famille. Il était anéanti. S’il faisait quelque chose de grave en France alors il allait rester. Quand un homme n’a plus d’espoir, cela peut avoir des conséquences terribles. Il a écrit pour demander pardon aux surveillants », explique l’aumônière. 

« Les détenus ont peur d’être fichés S, alors ils rangent leurs calendriers avec les horaires de prières »

Gaétan Dehondt, aujourd’hui coach en développement personnel, estime lui qu’il y a actuellement un réel problème de communication entre surveillants et prisonniers musulmans.

« Le métier de surveillant est très éprouvant et certains sont au bord du suicide. Mais beaucoup de gardiens n’ont jamais côtoyé de musulmans et ils sont clairement hostiles à l’islam. Cependant j’ai toujours dit aux détenus que c’étaient à eux de montrer une bonne image de leur religion à travers leur comportement », souligne t-il. 

Et malgré les apparences, beaucoup de musulmans incarcérés pratiqueraient désormais leur religion de façon isolée, redoutant d’être suspectés de radicalisation. 

« Beaucoup de mosquées ne font pas leur travail en amont » Gaétan Dehondt, aumônier

« Aujourd’hui les tapis sont autorisés, les gens s’inscrivent au jeûne du Ramadan. Mais les détenus ont peur d’être fichés S, alors ils rangent leurs calendriers avec les horaires de prières, qu’ils affichaient avant sur les murs de leur cellule », assure Samia El Alaoui, qui fréquente les prisons depuis une dizaine d’années. 

Une suspicion généralisée selon elle, qui porte également sur les familles en visite. 

« Des proches venus de loin qui demandent à prier, l’appel à la prière qui se déclenche sur un portable… et rapidement cela est considéré comme du prosélytisme », déplore l’aumônière.

Mais les deux aumôniers ne sous-estiment pas le travail qu’il reste à faire auprès des détenus musulmans, et depuis plusieurs années déjà, ils demandent plus de moyens

« 1h par semaine pour 150 détenus, c’est de la folie. Il faut créer des vrais postes à temps complets. Pour lutter vraiment contre la radicalisation il faut y mettre les moyens, et rien n’a été mis en place », regrette Gaëtan Dehondt, qui a exercé pendant deux ans au sein des prisons. 

Seulement 183 aumôniers musulmans pour environ 18 000 détenus

Les aumôniers musulmans sont en effet 183 sur le territoire, alors qu’on estime à 18 000 le nombre de musulmans dans les geôles françaises (chiffre officiel de l’administration pénitentiaire en 2013). En 2015, suite aux attentats, la création de 60 postes supplémentaires d’aumôniers avait été annoncée par Manuel Valls, afin de lutter contre la “radicalisation » estimée exacerbée dans le milieu carcéral. 

« Nous sommes en 2018, mais la promesse n’a toujours pas été tenue. Nous voulons un vrai statut d’aumônier avec un salaire. Aujourd’hui, les indemnités d’un aumônier (environ 300 euros par mois), couvrent difficilement les frais de déplacements », confie Abdallah Zekri, délégué général du CFCM. 

Des mosquées accusent des  aumôniers de « radicalisation » pour placer leurs propres candidats

« Il y a certes eu une augmentation budgétaire pour l’aumônerie du culte musulman, mais alors que l’on mettait avant six mois pour avoir l’agrément d’un aumônier, il faut maintenant un an et demi. Les retours préfectoraux sont longs car de plus en plus de volontaires sont suspectées par les renseignements généraux d’être radicalisées. Le dernier refus concerne une personne de nationalité française qui a été jugée un peu trop pratiquante pour avoir l’agrément », détaille Samia El Alaoui. Mais plus grave encore, elle s’indigne devant les guerres inter-mosquées, certaines n’hésitant pas à déclarer de futurs aumôniers de radicalisés, afin de placer leur propre candidat. 

Gaëtan Dehondt est aussi critique envers les mosquées, trop peu actives devant ce phénomène de “radicalisation ». « Beaucoup de mosquées ne font pas leur travail en amont, elles ne savent pas répondre aux questions des jeunes et à leurs frustrations, et nous retrouvons ces difficultés en prison. Or la religion c’est aussi du social et le problème du radicalisme est un problème sociétal » conclut t-il.