Pendant 20 ans, il a tourné en dérision sur scène la politique ukrainienne. Désormais président, Volodymyr Zelensky va être confronté à des défis très sérieux avec des interlocuteurs redoutables, que ce soit Vladimir Poutine, le FMI ou une classe politique frondeuse.

Un conflit dans l’impasse

C’était l’argument essentiel de son adversaire, le président sortant Petro Porochenko: « Un acteur sans expérience ne peut pas faire la guerre avec l’agresseur russe ».

Volodymyr Zelensky hérite d’un conflit à l’origine de près de 13.000 morts en cinq ans, qui prive l’Ukraine de contrôle sur le bassin houiller et industriel du Donbass et sur une partie de sa frontière avec la Russie.

Kiev et les Occidentaux accusent Moscou de soutenir militairement les séparatistes pro-russes à la tête de ces régions, ce que démentent les autorités russes malgré les constatations de plusieurs médias dont l’AFP.

Les accords de Minsk de début 2015, signés sous l’égide de Paris, Berlin et Moscou, ont permis de réduire l’intensité des combats, sans mettre fin au conflit ni apporter de solution politique.

M. Zelensky a promis dimanche de « relancer » ce processus après avoir émis pendant sa campagne l’idée d’associer les Etats-Unis ou le Royaume-Uni au processus de paix.

S’il s’est dit prêt à négocier avec Vladimir Poutine, il reste ferme: ces territoires doivent revenir pleinement dans le giron ukrainien, sans statut particulier.

Pour le politologue Mykola Davidiouk, plutôt qu’une solution militaire, « il essaiera à tout prix soit de conclure des accords personnellement avec Poutine soit d’utiliser des méthodes politico-diplomatiques avec l’aide de l’Union européenne et des Etats-Unis ».

Voulant tendre la main aux populations qui vivent dans ces territoires, Volodymyr Zelensky a promis en fin de campagne une « guerre de l’information » visant à les convaincre « que l’Ukraine a besoin d’elles, qu’elles ont besoin de l’Ukraine » et des « mesures humanitaires » en leur direction.

Urgence financière

Au bord du gouffre financier, l’Ukraine a bénéficié en 2014 d’un plan d’aide occidental, mené par le Fonds monétaire international (FMI). Mais les crédits ont été débloqués au compte-gouttes en raison de la difficulté à adopter certaines mesures de rigueur ou anticorruption exigées en contrepartie.

Espéré d’ici deux mois, le versement de la prochaine tranche (1,3 milliard de dollars) reste incertain, laissant les comptes en situation précaire.

« Dans les trois prochaines années, l’Ukraine devra rembourser plus de 20 milliards de dollars de dette publique, et on ne sait pas vraiment comment », avertit Olexandre Parachtchi, analyste de la banque Concorde Capital, soulignant l' »importance critique » de continuer à travailler avec le FMI.

Reste à voir si le futur président compte faire avaler à la population qui l’a massivement élu qu’elle doit consentir à des mesures de rigueur alors que le pays est l’un des plus pauvres d’Europe et qu’il se remet à peine d’un effondrement économique en 2014-2015.

M. Zelensky a insisté vouloir améliorer les conditions de vie pour enrayer l’hémorragie de main d’oeuvre subie par l’Ukraine en direction de ses voisins de l’UE.

Il se montre en revanche ferme sur la corruption, exigence majeure des Occidentaux qui n’ont pas caché leur agacement ces dernières années face au manque de progrès contre ce fléau. Il s’est aussi adjoint les services d’un ancien ministre des Finances respectés des milieux financiers, Oleksandre Daniliouk.

Très vite, Volodymyr Zelensky risque de se trouver face à une situation financière délicate. A trois jours du second tour, la justice a annulé le sauvetage fin 2016 de la première banque ukrainienne, PrivatBank, où repose une part non négligeable des économies des Ukrainiens. Les bailleurs de fonds de Kiev ont fait savoir qu’ils suivaient de près ce dossier clé pour l’assainissement financier du pays.

Une classe politique hostile

Pour le politologue Mykola Davydiouk, « le premier risque, et le plus important, ne proviendra pas de l’armée ni de la guerre, mais de la formation de son équipe ».

S’il a dit vouloir moderniser le pouvoir en introduisant une procédure de destitution, déménageant de la présidence au profit d’un « open space » ou se déplacer en vols réguliers, Volodymyr Zelensky n’a pas de majorité au Parlement pour former un gouvernement.

Les élections législatives ne sont prévues que le 27 octobre, dans une éternité à l’échelle de la vie politique ukrainienne. Les avancer pour bénéficier de l’élan de la présidentielle est très compliqué légalement.

« Zelensky aura beaucoup de mal à s’assurer du soutien du Parlement », qui lui sera « très hostile », estime Anatoli Oktysiouk, du centre d’analyse Democracy House.

Autre difficulté, selon cet expert, « les relations avec les oligarques », très puissants en Ukraine, et en premier lieu avec Igor Kolomoïski, adversaire farouche de Petro Porochenko accusé d’avoir organisé la candidature de M. Zelensky.