Ce 14 août 2013, ils étaient encore plusieurs milliers rassemblés sur les différentes places du Caire pour dénoncer le coup d’Etat militaire qui a eu raison du premier président démocratiquement élu d’Egypte, Mohamed Morsi. Le leader des Frères musulmans avait été renversé le 3 juillet par le général Abdel Fattah al-Sissi, depuis lors président de la république égyptienne. Mais ce 14 août-là, les forces de sécurité ont reçu l’ordre de tirer dans la foule des manifestants sur les places Rabaâ El-Adaouïa et Nahdha. Résultat : un millier de personnes tuées, soit le plus grand massacre de manifestants civils en un seul jour dans l’histoire récente. Pis encore : quatre ans plus tard, aucun officiel de la police ou du gouvernement (ministère de l’Intérieur et de la Défense) n’ont été inquiétés par le moindre début d’enquête pour cet usage disproportionné de la violence. « Mon fils, Mahmoud était à Rabaâ et est mort lors d’une manifestation légitime », se rappelle sous couvert d’anonymat une mère effondrée. « Beaucoup de jeunes sont morts mais aucun des policiers qui ont ouvert le feu contre des gens désarmés n’a été jugé. Ni ne va l’être d’ailleurs », confie-t-elle désabusée. Selon Human Rights Watch (HRW), au moins 817 personnes sont mortes ce 14 août 2013, même si l’ONG estime les chiffres réels plus proche du millier de victimes. Côté gouvernement, le ministère de la Santé n’aurait déploré « que » 638 morts, dont 43 officiers de police. La charge avait pourtant été portée dès six heures du matin, et s’est étalée sur toute la journée. A la tombée du jour, la place Rabaâ El-Adaouïa était devenue un lieu de carnage, les morts et les blessés amoncelés dans des hôpitaux de fortune créés dans les rues ou les mosquées environnantes. Innombrables étaient les corps non identifiables, du fait des visages carbonisés. « J’ai cherché mon fils toute la journée du lendemain », poursuit la mère du martyr, « je devais scruter les visages un à un, sur des rangées et des rangées : c’était le pire moment de ma vie. L’angoisse de ne pas savoir si j’allais le retrouver et, en même temps, de le retrouver. »

La place Rabaâ El-Adaouïa débaptisée

L’absence de poursuites judiciaires renforce le sentiment d’impunité ressentie par la population depuis la (re-)prise du pouvoir par l’armée en 2013. Pourtant, ce ne sont ni les témoignages, ni les vidéos qui manquent. Des images prises par les caméras étrangères montrent clairement des agents de police tirer sur des civils inoffensifs et incendier délibérément des magasins, des pancartes… et des personnes. Ahmed Benchemsi, coordinateur de HRW pour l’afrique du Nord, le confirme : « Il s’agit de l’un des massacres les mieux documentés de l’histoire : nous avons des témoignages de familles de victimes, de survivants, de voisins. Et même, en « off », de déclarations de hauts représentants des forces de sécurité qui ont admis l’usage disproportionné de la force (…) ». De son côté, le gouvernement d’al-Sissi s’est toujours déchargé de toute responsabilité dans le massacre, estimant l’action des forces de sécurité « normale pour disperser une manifestation ». Des victimes que les officiels requalifient d’ailleurs de « terroristes ». Un qualificatif qui plane sur toute personne critique du pouvoir militaire au pays des Pharaons. Exhorté par des dizaines d’ONG notamment internationales, le Conseil national pour les droits de l’Homme, organe issu de l’exécutif, avait conduit une enquête en 2015 sur les évènements à Rabaâ, dont il avait conclut que « de nombreux manifestants étaient armés ». En l’état actuel des choses, la perspective d’une enquête transparente et objective relève de l’utopie. D’ailleurs, le nom même de la place Rabaâ El-Adaouïa, devenue le symbole de l’opposition islamiste, a été rebaptisé place Hisham Barakat. En hommage à un procureur général assassiné en juin 2013 par un groupe terroriste.