Le mercredi 27 septembre, deux experts des Nations Unies — la rapporteuse spéciale des sur la protection des droits de l’Homme dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, Fionnuala Ní Aoláin, et le rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme, Michel Forst — ont émis des doutes quant au projet de loi antiterroriste qui a été discuté par les Parlementaires français. Ces deux experts, indique le service d’information de l’ONU, demandent à la France « d’honorer ses engagements et obligations internationaux en matière de droits de l’Homme lors du débat d’un nouveau projet de loi susceptible de perpétuer les mesures d’urgence introduites en 2015, et d’établir ainsi en droit un état d’urgence permanent. » Pour Fionnuala Ní Aoláin, « la normalisation par ce projet de loi des pouvoirs d’urgence risque de menacer gravement l’intégrité de la protection des droits en France, tant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme que plus largement. »

La rapporteuse spéciale a tenu à alerter, par courrier, les autorités françaises. « Alors que la France renforce sa lutte contre le terrorisme, le projet de loi comprend un certain nombre de mesures de sécurité qui intégreront dans le droit commun plusieurs des restrictions aux libertés civiles actuellement en vigueur dans le cadre de l’état d’urgence en France », écrit-elle dans une lettre adressée le 22 septembre dernier au gouvernement. Selon Fionnuala Ní Aoláin, « la durée de l’état d’urgence doit être limitée dans le temps, révisée régulièrement et répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité. » Rappelons que, en janvier 2016, c’était le Conseil de l’Europe qui se disait « préoccupé » par la prolongation de l’état d’urgence en France. La France avait alors averti plusieurs fois le Conseil qu’elle allait déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme, notamment aux principes de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

« La durée de l’état d’urgence doit être limitée dans le temps, révisée régulièrement et répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité »

Pour Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit pénal et procédure pénale, auteur d’un rapport sur l’état d’urgence en janvier 2016, le constat est aujourd’hui « inquiétant. » Le juriste rappelle la gravité de la situation avec l’adoption prochaine de la loi antiterroriste : « Nous allons sortir de l’état d’urgence mais nous allons retrouver les différentes mesures dans notre droit pénal », explique Emmanuel Daoud qui estime que, dans le projet de loi qui vient d’être discuté à l’Assemblée, « la sécurité prévaut sur les libertés. » Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, confirme : « Nos libertés sont en train d’être bafouées. » Et le texte ressemble à s’y méprendre à « une banalisation de l’état d’urgence », insiste Emmanuel Doud qui voit dans cette prorogation de la loi antiterroriste « une façon de donner des gages à l’opinion publique. »

Alors, que faire ? Même si la loi entre en vigueur, rien n’est figé et il reste aujourd’hui des solutions. « Nous irons devant les juges administratifs ou judiciaires », assure Emmanuel Daoud qui est prêt, « sauf divine surprise devant les juridictions de droit commun », à aller jusqu’à contester le nouveau texte de loi devant la Cour européenne des droits de l’Homme. En attendant, l’espoir est de mise : s’ils sont soixante, les députés ou sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel. Depuis 2008, les citoyens, également, peuvent saisir ce dernier grâce aux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui, selon les textes, permettent « à tout justiciable de contester, devant le juge en charge de son litige, la constitutionnalité d’une disposition législative applicable à son affaire parce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. » En dernier recours, la CEDH pourra invalider la loi votée à l’Assemblée. « Mais il faudra plusieurs années », prévient Emmanuel Daoud. La patience est de mise.