Silencieux face aux persécutions commises contre les minorités musulmanes à travers le monde, qu’attendent les pays musulmans pour réagir ?
C’était au début du mois de juin dernier : la porte-parole du parti du Premier ministre indien le Bharatiya Janata Party (BJP), Nupur Sharma, faisait des déclarations offensantes à l’égard du Prophète. Plusieurs pays musulmans, parmi lesquelles le Pakistan, l’Iran ou l’Arabie saoudite, protestaient et exigeaient des excuses de l’Inde. Le début d’une brouille diplomatique inédite.
Si l’on peut admettre le caractère offensant des propos de la porte-parole du BJP, difficile cependant de comprendre pourquoi cette douzaine de pays n’a pas décidé de s’exprimer avant, alors que les musulmans d’Inde sont régulièrement victimes de violences et de discriminations de la part du gouvernement.
Ahmet T. Kuru, professeur de sciences politiques à l’université de San Diego, écrit sur le site The Conversation : « On observe une constante dans l’attitude des gouvernements des pays musulmans : alors qu’ils montent volontiers au créneau pour condamner des œuvres artistiques ou des propos perçus comme attentatoires aux valeurs islamiques, ils se montrent généralement très silencieux sur les violations des droits humains dont les individus musulmans sont victimes ».
Silence total face aux exactions chinoises
Les exemples ne manquent pas : peu de pays musulmans osent élever le ton face à Pékin, dans le dossier des Ouïghours. Pourtant, les crimes chinois contre la minorité musulmane du Xinjiang sont documentés. « Ces gouvernements, focalisés sur la préservation de leurs intérêts matériels, ferment les yeux sur la façon dont l’État chinois traite sa minorité musulmane », écrit le professeur.
Même chose pour les Rohingyas, au Myanmar, où il a longtemps fallu attendre pour que des voix s’élèvent contre la junte militaire en place.
« Ces doubles standards s’expliquent largement par l’autoritarisme généralisé dans le monde musulman. Sur 50 pays musulmans, seuls cinq sont démocratiques. La plupart des États autoritaires du monde musulman ont des lois sur le blasphème qui punissent les déclarations sacrilèges et font taire les voix dissidentes. Le fait qu’ils demandent à l’Inde ou à d’autres pays non musulmans de punir le blasphème découle de leur propre législation », résume Ahmet T. Kuru.
Dans une tribune, en 2021, la présidente de l’Institut ouïghour d’Europe dénonçait le silence et l’immobilisme des pays musulmans face aux crimes perpétrés par la Chine à l’encontre des Ouïghours. « A l’heure où vous, pays musulmans, observez un silence complice ; où vous allez même, pour certains d’entre vous, jusqu’à approuver ce monstrueux crime contre l’humanité afin de préserver vos relations avec la Chine, je ne peux pas vous souhaiter un bon ramadan », écrivait Dilnur Reyhan.
Les opinions publiques ne sont pas les gouvernements
« Les opinions publiques de ces pays doivent être révoltées par ce qui est fait aux Ouïghours, nuance Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste à TV5 Monde. Mais leurs gouvernements font de la politique. Jamais aucun gouvernement n’a été mobilisé par la solidarité islamique, à part celui d’Erdogan le premier ministre turc ». Pour le journaliste, « les Etats ne réagissent jamais au nom de l’islam ».
Il y a, Slimane Zeghidour, également un problème de médiatisation des figues de l’islam mondial. Les personnalités religieuses de l’islam « s’expriment », assure-t-il, mais « comme elles n’ont pas d’autorité transnationale, ça n’arrive pas dans les agences de presse. Il y a des tas d’éditoriaux, des prêches qui parlent du problème ouïghour mais ça reste dans chaque pays. Ensuite, il faut réaliser qu’il y a tellement de musulmans réprimés sur la planète aujourd’hui, que les imams ne savent plus ou donner de la tête… »
« L’attitude des gouvernements autoritaires en place dans de nombreux pays musulmans n’aide pas les minorités musulmanes d’Inde et d’ailleurs », estime Ahmet T. Kuru.