Des dizaines de milliers de personnes ont participé à une manifestation nationaliste samedi à Varsovie, à coup de slogans xénophobes et islamophobes. Un virage populiste entamé depuis 2015 en Pologne.

« La Pologne pure, la Pologne blanche ! », « Foutez le camp avec vos réfugiés ! »… Tels étaient les slogans martelés par les manifestants à Varsovie samedi 11 novembre, à l’occasion de la fête de l’Indépendance dans le pays.

60 000 personnes étaient réunies, à l’appel de l’extrême droite, pour la « Marsz Niepodległości », une marche inaugurée en 2009. Elle serait réputée comme le plus grand événement fasciste et nationaliste d’Europe. Une manifestation qui rappelle les rassemblements anti-migrants et islamophobes organisés par Pegida en 2014 et 2015 en Allemagne. 

Déjà en septembre 2015, une manifestation à Varsovie contre les exilés et contre la supposée « l’islamisation de l’Europe » avait rassemblé quelques milliers de personnes, mais n’était pas d’une telle ampleur. 

«  Un agenda raciste, nationaliste et réactionnaire est venu se greffer à cet événement »

« La marche de l’Indépendance est un évènement annuel qui rassemble  toujours les foules. Mais ce qui est inquiétant c’est qu’un agenda raciste, nationaliste et réactionnaire est venu se greffer à cet événement. Les organisateurs utilisent la religion pour montrer leur hostilité aux musulmans, cela révèle leur ignorance des enseignements du catholicisme et également de l’histoire polonaise dans laquelle les musulmans ont joué un rôle important », explique Kasia Narkowicz, chercheuse en sociologie à l’université de York au Royaume-Uni. 

Samedi dernier à Varsovie, beaucoup portaient le drapeau national blanc et rouge tandis que d’autres arboraient des bannières représentant une falanga, un symbole d’extrême droite datant des années 1930.

« Nous ne devrions pas  les sous-estimer car ils ont prouvé qu’ils n’étaient pas des groupes en marge de la société »

« Même si tous les participants à la Marche ne sont pas des néo-nazis comme il a pu être rapporté, les organisateurs proviennent de deux organisations d’extrême droite : la Jeunesse Polonaise (Młodzież Wszechpolska) et le Camp National-Radical (ONR). Ces organisations sont ouvertement racistes, islamophobes et antisémites et nous ne devrions pas  les sous-estimer car ils ont prouvé qu’ils n’étaient pas des groupes en marge de la société », commente Kasia Narkowizc.

Un chant catholique contre l’Islam chanté par les manifestants

« Nous voulons Dieu » était le mot d’ordre de la manifestation. Ce chant catholique est souvent interprété aujourd’hui en réaction à l’Islam. Une référence qu’avait déjà utilisé Donald Trump lors de sa visite en juillet dernier à Varsovie. Le président des Etats-Unis avait félicité la Pologne pour sa défense de « la civilisation occidentale. »

En effet, dès 2015 et son accession au pouvoir, le gouvernement eurosceptique et conservateur de Jaroslaw Kaczynski a montré son hostilité face aux migrants et a durci les conditions d’accueil pour protéger l’Europe de « l’invasion musulmane ». 

Et alors que les musulmans de Pologne représentent moins d’un pour cent de la population, l’Islam est régulièrement présenté comme une menace dans les médias suite aux attentats dans les pays voisins. 

« Le peu de musulmans en Pologne permet d’une certaine façon, que des programmes racistes ne soient pas contestés et que des préjugés soient véhiculés facilement, sans qu’ils ne soient déconstruits », analyse Kasia Narkowicz, spécialisée sur les questions de racisme, de religions et d’islamophobie. 

L’Islam associé au terrorisme par les Polonais

En septembre 2015, devant le Parlement, le chef de file du parti Droit et Justice (PIS), Jaroslav Kaczynski avait soutenu que la loi islamique s’imposait partout en Europe. Il déclarait faussement par exemple : « Et en France ? Les émeutes qui n’en finissent plus, la charia qui s’est imposée et les patrouilles qui surveillent son application. Les mêmes phénomènes se produisent à Londres et dans la résiliente Allemagne. Est-ce ce que vous voulez pour la Pologne ? Voulez-vous cesser d’être les propriétaires de votre propre pays ? Non, ce n’est pas ce que veut le peuple polonais.»

« Il reste beaucoup à faire pour éduquer les Polonais »

Un discours qui cherche à alimenter la peur chez les Polonais et qui a fini par trouver échos. Les études réalisées par le Centre de recherche sur les préjugés de la faculté de psychologie de Varsovie, montrent que les Polonais associent l’Islam d’abord à une religion, puis au terrorisme en deuxième position. Ils estiment à 52% que les musulmans sont des gens primitifs et que l’Islam est une religion archaïque. « Il reste encore beaucoup à faire pour éduquer les Polonais sur l’Islam et sur la longue histoire de la présence islamique en Pologne », souligne Kasia Narkowicz. En effet, les Tatars, population musulmane arrivée au 14e siècle en Pologne, ont beaucoup contribué à la défense du pays, par leur présence active dans l’armée. 

« Nous vivons la plus grande vague de haine dans l’histoire moderne de la Pologne »

Depuis quelques années l’islamophobie est croissante dans le pays. Samedi des manifestants ont martelé que « la culture chrétienne est supérieure à la culture islamique ». 

Mais plus grave encore, des manifestants ont même appelé à la violence envers les musulmans. Au dessus d’un pont, ces derniers avaient accroché une banderole sur laquelle était écrit : « Pray for a Muslim holocaust », soit « Priez pour un holocauste des musulmans ». 

« Actuellement, nous vivons la plus grande vague de haine dans l’histoire moderne de la Pologne avec des incidents plus ou moins violents qui se produisent tous les jours », s’inquiète Kasia Narkowicz. 

Les femmes en première ligne

Le président polonais a condamné les propos tenus : « Dans notre pays, il n’y a ni place ni accord pour la xénophobie, pour un nationalisme maladif, pour l’antisémitisme ». Mais pour la chercheuse polonaise, le gouvernement joue sur deux tableaux puisqu’il n’a fait que renforcer ces dernières années les mouvements d’extrême droite, en leur permettant notamment d’être les principaux organisateurs de cet évènement. 

Toutefois, une contre-manifestation antifasciste a eu lieu en même temps à l’autre bout de la ville pour protester contre le virage autoritaire de l’actuel gouvernement. « L’opposition est petite mais elle s’appuie sur les actes de quelques individus courageux. Nous l’avons vu cette année avec une femme brandissant une banderole condamnant le racisme, accompagné d’une citation du défunt pape polonais Jean-Paul II, dans l’église où les organisateurs de la Marche de l’Indépendance participaient à une messe. Un groupe de femmes s’est aussi assit dans la rue pour contrer des manifestants qui marchaient avec une bannière raciste. Et il y a également des organisations comme Never Again (Nigdy Więcej) qui font du bon travail sur le terrain », relativise Kasia Narkowicz.