«Nous nous sommes hélas réveillés dans un pays où l’on arrache leurs couvertures à des migrants à Calais. Où l’on lacère leurs toiles de tente à Paris. Où l’on peut se perdre, pieds et mains gelés, sur les pentes enneigées de la frontière franco-italienne», écrivent aujourd’hui dans une tribune pour le Monde, plusieurs syndicalistes et intellectuels, dont Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT). 

Comme la gauche, une partie de la majorité et beaucoup d’associations, ils reprochent au président de la République la dureté de sa politique migratoire, sa « rupture avec l’humanisme » prôné jusqu’alors, sa nouvelle loi controversée sur l’asile et l’immigration dont le texte définitif doit être présenté en février, ainsi que la circulaire sur le recensement des migrants adoptée le 12 décembre (dont 27 associations demandent l’annulation). 

« La rencontre avec le président de la République nous semble inutile »

Une tribune qui n’est pas publiée au hasard, puisqu’elle correspond à la première visite tant attendue d’Emmanuel Macron à Calais, ville symbole de la crise migratoire. Sur place, le président devait rencontrer les principales associations d’aide aux migrants, dont l’Auberge des migrants et Utopia 56. Mais les deux associations ont décidé de boycotter cette rencontre. 

« Alors même que le gouvernement n’a pas écouté à Paris les grandes organisations humanitaires, ni sur leurs critiques, ni sur leurs propositions, pourquoi le président tiendrait-il compte des mêmes critiques et propositions des associations locales ? », écrit Utopia 56 dans son communiqué. 

En effet, le 15 juin dernier, puis le 24 juillet, des collectifs citoyens et des associations connues comme Médecins du Monde, Emmaus, Amnesty etc, avait lancé un appel au président pour dénoncer les dysfonctionnements de la politique d’accueil des réfugiés. Une lettre qui n’avait pas trouvé échos. 

« La rencontre avec le président de la République nous semble donc inutile (…) elle succède à d’autres rencontres (Mr Valls, Cazeneuve, Collomb…) auxquelles nous avons participé et qui ont servi d’alibi à des autorités simplement soucieuses de faire croire à un dialogue avec les associations calaisiennes », conclu Utopia 56.

« Chaque semaine, des sacs de couchage, bâches et tentes sont mis à la benne »

L’Auberge des Migrants vient quant à elle d’annoncer dans un second communiqué, avoir déposé une plainte commune avec le Secours catholique pour destruction et dégradation de sacs de couchages. Ces biens avaient été mis à disposition des migrants de Calais « pour leur permettre de ne pas mourir de froid », alors qu’ils sont encore près de 600 sur place, sans abri fixe, depuis le démantèlement de la « Jungle » en octobre 2016.  

« Chaque semaine, des sacs de couchage, bâches et tentes sont mis à la benne, détruits, voire gazés », précisent les associations. Une façon de décourager les migrants de s’installer et les bénévoles de les aider. 

Derrière ces accusations, c’est surtout la police que vise les associations, en relayant sur internet des vidéos de destructions de campement et de violences envers les migrants.  

« C’était il y a deux soirs, j’étais avec des amis dans la rue et un camion de policiers s’est approché. Ils ont ouvert la vitre, on leur a dit bonjour et ils nous ont jeté du gaz dans la figure et sont repartis en rigolant », explique un migrant à France 3. « Tous les soirs, les policiers prennent nos tentes, nos sacs de couchage et nous frappent. La vie à Calais est très dure. C’est inhumain », témoigne un autre à Radio France. Dans un rapport publié en 2017, l’ONG Human Rights Watch (HRW) avait d’ailleurs pointé du doigt un usage excessif de la force contre les migrants. 

« Humanité » et « fermeté », le gouvernement choisit ses mots pour définir sa politique migratoire

Des conditions déplorables et une politique migratoire vivement dénoncée également il y a quelques jours par le magazine L’Obs, juste avant la visite du président à Calais. En une du magazine du 11 janvier était représenté Emmanuel Macron derrière des barbelés, rappelant les camps de la seconde guerre mondiale. La une était accompagnée d’un titre très sarcastique intitulé : «Bienvenue au pays des droits de l’homme…». Le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, a tout de suite réagi, déplorant une couverture qui selon lui, «manque de rigueur».

Face à toutes ces critiques, le gouvernement a depuis décidé d’assurer sa défense, en insistant sur deux mots d’ordre :  « humanité » et « fermeté », faisant référence au discours du président le 11 janvier à Rome. Emmanuel Macron avait en effet assuré que « l’humanité sans efficacité, ce sont des belles paroles. L’efficacité sans l’humanité, c’est de l’injustice ». 

Le président de la République a donc déclaré aujourd’hui qu’en « aucun cas nous ne laisserons ici se développer des filières illégales, se reconstituer une jungle ou une occupation illégale du territoire ». Il a aussi annoncé entre autres, que l’Etat « allait prendre en charge » la distribution de repas aux migrants. 

Emmanuel Macron réaffirme son soutien aux policiers de Calais

Concernant les forces de l’ordre de la gendarmerie de Calais que le président doit rencontrer, le gouvernement avait demandé à ce qu’ils soient « exemplaires dans leurs interventions ». Toutefois Emmanuel Macron dénonce des « manipulations » et des « mensonges » dans les critiques sur les forces de l’ordre à Calais. 

« Le travail des policiers est peu reconnu, souvent caricaturé. Les critiques ne visent qu’un but : mettre à mal la politique mise en oeuvre par le gouvernement », a t-il déclaré dans son discours, annonçant également une prime exceptionnelle de résultats accordée aux policiers et aux gendarmes. 

Le président en a profité aussi pour rappeler à l’ordre les associations, les appelant « à la responsabilité ». « Lorsqu’elles encouragent les femmes et les hommes à rester là, voire à passer clandestinement de l’autre côté de la frontière, elles prennent une responsabilité immense. Jamais l’Etat ne sera à leurs côtés ». Par ailleurs des bénévoles ont souvent mis en cause ces dernières années pour « délit de solidarité ».

Quant au projet de loi sur l’immigration, Emmanuel Macron n’est pas revenu dessus, préférant se ranger à l’avis de l’opinion publique, dont la majorité est favorable à un durcissement des conditions d’accueil. Le ministre de l’intérieur réaffirmait d’ailleurs dimanche qu’il n’était « pas question » de changer l’orientation du projet de loi, qui est « totalement équilibré ». 

Malgré les critiques, la politique migratoire d’Emmanuel Macron reste donc sensiblement la même, à quelques éléments de langage près. Reste à savoir désormais, si le gouvernement mettra davantage l’accent sur la « fermeté », ou « l’humanité ».