« Les autorités indiennes doivent veiller à ce que les responsables présumés de lynchages publics et d’autres crimes de haine contre des musulmans dans plusieurs états ne restent pas impunis », dénonçait Amnesty International le 28 juin 2017. « Les crimes de haine systématiques commis, visiblement en toute impunité, contre des musulmans – dont un grand nombre dans les états où le Parti du peuple indien est au pouvoir – sont extrêmement inquiétants », indique Aakar Patel, directeur exécutif d’Amnesty International Inde, qui profite de la médiatisation du massacre de Rohingya en Birmanie pour rappeler que, en Inde aussi, les musulmans sont persécutés.

Des campagnes de conversion et contre les couples mixtes

Et pour cause, depuis avril 2017, l’ONG dénombre une dizaine d’hommes musulmans cibles de crimes de haine ou tués en public. Elle évoque, entre autres dans son rapport, les cas d’Abu Hanifa et Riazuddin Ali, lynchés par une foule dans l’état de l’Assam, soupçonnés d’avoir volé une vache. « Des nationalistes hindous veulent interdire aux musulmans et aux chrétiens de manger du bœuf, sous couvert de protection animale et de préservation de la vache, considérée comme sacrée en Inde. Des personnes sont lynchées en pleine rue car accusées de manger de la viande de boeuf », confirme Charlotte Thomas, ancienne enseignante à Sciences Po et spécialiste de la minorité musulmane indienne.

Elle évoque aussi les autres campagnes menées par les nationalistes comme la « Ghar Waspi » (« Retour à la maison »), une campagne de conversion massive des musulmans. Ou encore la campagne « Love jihad » qui combat les couples mixtes pour protéger les femmes hindoues des mariages avec les hommes musulmans. Dans l’imaginaire hindou, ceux-ci sont en effet perçus avec leur religion comme « conquérants et faisant beaucoup d’enfants. » Mohammed Shalik, 19 ans, a été attaché à un poteau et frappé à mort, parce qu’il était simplement accusé d’avoir une relation amoureuse avec une femme hindoue, rapporte Amnesty International.

« Les musulmans ont peur du régime en place »

« La situation des musulmans (qui représentent 13 % de la population indienne) est très inquiétante, surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, qui appartient au Bharatiya Janata Party (BJP), une frange dure du nationalisme hindou. Il prône une Inde débarrassée de ses minorités chrétiennes et musulmanes. Les musulmans ont peur du régime en place », analyse Charlotte Thomas. Dans un article datant de juillet 2017, l’Hindustan Times annonce la mort de 28 musulmans sur les 63 cas de lynchages liés à la préservation des vaches entre 2010 et 2017. 32 ont été rapportés dans les états où le BJP est au pouvoir et 97 % de ces incidents auraient eu lieu depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014, rapporte également le média indien.

Narendra Modi est soupçonné d’avoir soutenu les violences visant les musulmans au Gujarat en Inde en 2002, un état situé près du Pakistan. A l’origine du conflit, l’incendie d’un train transportant des pèlerins hindous dont des musulmans sont accusés. Suite à cet incendie, près de 2 000 musulmans sont tués au Gujarat. Dans le programme du BJP de Modi figure toujours également le projet de construction d’un temple pour le dieu Ram, sur le site d’une ancienne mosquée située à Ayodhya,  une petite ville d’Uttar Pradesh au nord-est du pays. Relancé il y a quelques mois, ce projet est une source de vives tensions entre les deux communautés.

La création de la journée du yoga, une annonce nationaliste

Pour Charlotte Thomas, le nationalisme hindou s’exprime aussi de façon plus insidieuse ces dernières années, comme dans les livres d’histoire où l’héritage musulman est passé sous silence ou transformé en conquête agressive des Moghols. Mais aussi avec l’instauration de la journée du yoga en 2014. « En Occident, on a perçu cette nouveauté comme quelque chose de fun. Mais c’est une décision purement nationaliste pour renforcer cette idée de l’Inde hindoue. Il a même été signé une pétition pour que le yoga soit enseigné dans toutes les écoles », explique la politiste.

Ainsi, le soutien de Narendra Modi à la dirigeante birmane n’est pas une surprise. L’Inde abrite environ 14 000 Rohingya selon les chiffres du Haut-Commissariat  des Nations unies pour les réfugiés (HCR), mais les considère comme des « immigrants illégaux. » Le pays refuse donc d’accorder l’asile aux Rohingya qui quittent la Birmanie et l’Inde n’est d’ailleurs pas signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. « Les endroits où sont installés les Rohingya sont des zones gazières. Pour l’Inde, soutenir la Birmanie, c’est aussi s’assurer de garder la main-mise sur les matières premières », analyse Charlotte Thomas.

La jeune femme s’inquiète également de ce conflit brûlant, passé sous silence. « Narendra Modi s’efforce de faire passer les rebelles comme des « terroristes. » Comme Aung San Suu Kyi en Birmanie. Il tient le même discours avec les Rohingya du Myanmar, accusés de liens avec les services secrets pakistanais. « C’est courant de soupçonner les musulmans indiens d’être la ‘cinquième colonne’ du Pakistan », explique Charlotte Thomas. La partition de l’Inde et du Pakistan en 1947, qui s’est faite dans une extrême violence, a laissé des traces profondes. 70 ans après, cet épisode envenime toujours les relations entre les deux communautés.