Depuis quelques jours, des images circulent sur internet faisant naître dégoût et amertume chez tout individu disposant d’un tant soit peu d’humanité. La situation des Rohingya en Birmanie soulève plusieurs problématiques de droit international que peu d’auteurs ont souhaité mettre en avant. Et pourtant. La situation évoque une violation en rafale des différentes conventions des droits de l’Homme. Dès octobre 2015, la Clinique des droits de l’Homme de l’Université de Yale proposait une analyse juridique de la situation, qui laisse sans mot tout individu attaché aux droits de l’Homme.

Déni de nationalité, mise sous esclavage, déplacements forcés

Dès les prémices de l’indépendance de la Birmanie, les questions ethniques ont fait surface et ont nourri des débats visant à s’intéresser à ceux qui auraient le droit « à la nationalité » birmane. Il va de soi que la question de la minorité musulmane ethnique Rohingya s’est posée en s’intéressant davantage à une méthode exclusive de l’obtention de la nationalité plutôt qu’à des conditions leur ouvrant le droit à la nationalité.

Il faut toutefois noter que l’Union Citizenship Act a permis aux Rohingya installés depuis deux générations au moins en Birmanie de bénéficier de la nationalité. Ce n’est qu’après le coup d’état de 1962 que les nationalités et les cartes d’identité se faisaient de plus en plus rares pour les membres de cette minorité. Il y a eu également un véritable apartheid social qui s’est instauré, puisqu’en 1974 la carte d’enregistrement nationale a été promulguée. Seulement, les Rohingya n’en bénéficiaient pas : ils disposaient quant à eux d’une forme de titre extérieur de séjour non reconnu par les écoles et les employeurs, ce qui les mettait à l’écart de deux éléments majeurs dans la société.

En 1982, le Général Ne Win adopte une nouvelle ordonnance concernant les nationalités, imposant de produire, pour être citoyen, des preuves historiques de présence en Birmanie avant 1948 ce que les Rohingya peinent à produire en raison du peu d’éléments historiques dont ils disposent. Les règles de naturalisation visent également à les exclure puisqu’on impose de parler la langue officielle de la Birmanie, alors que les Rohingya parlent un dialecte bien particulier.

Dans le cadre d’une opération militaire en 1978, la junte a également forcé les Rohingya à se déplacer en menant une offensive armée dans l’Etat de Rakhine. Le gouvernement soutenait en effet que les Rohingya étaient des étrangers et que, en tant que tels, ils ne pouvaient pas séjourner sur place. Les pires abus ont vu le jour : viols, assassinats et violences militaires en tous genres. Plus de 200 000 Rohingyas ont dû se réfugier au Bangladesh.

Plusieurs rapports d’ONG internationales soutiennent également que les Rohingya sont forcés de travailler, quand bien même ces derniers ne le désirent pas. Certaines affaires nous ont même amenés jusqu’au meurtre de certaines personnes d’ethnie Rohingya parce qu’elles avaient refusé de travailler. 

Que la discussion sur la qualification de génocide au titre des conventions internationales se pose est une chose, mais le nettoyage ethnique des Rohingya est sans précédent dans l’histoire des persécutions des minorités et la communauté internationale doit désormais se saisir de ce dossier qui est une honte pour l’humanité. Laisser des individus se faire ainsi massacrer à la vue et au su de tous ne peut pas être une action louable. L’arrivée d’extrémistes religieux bouddhistes ne fait qu’accentuer le problème, le pouvoir en place trouvant ainsi une légitimité religieuse dans ses agissements. On pense notamment à Ashin Wirathu, représentant du Ma Ba Tha, dont les déclarations sont ubuesques concernant les musulmans qu’il considère comme des serpents ou encore le « Mouvement du 969 » qui représente un pouvoir religieux particulièrement opposé aux Rohingya.

Un Nobel de la Paix au silence assourdissant

Il convient de rappeler que le prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est actuellement membre du parti de l’opposition, le NLD, et conseillère spéciale du Président et porte-parole de la Présidence. Cette dernière s’est toujours refusée de condamner sans équivoque ce que subissent les Rohingya en Birmanie.

Cette situation ouvre un double paradoxe. D’abord, la première question est celle d’une possible pression diplomatique des instances de l’ONU sur Aung San Suu Kyi en ce qui concerne la situation des Rohingya. Puis, une autre question — plus pratique — visant à déterminer si une personne peut demeurer Nobel de paix après un silence gardé volontairement sur une situation de fait aussi grave qu’un nettoyage ethnique ?

D’aucuns hésitent à expliquer la situation par la mise en avant du nationalisme en Birmanie, qui semble être la seule idéologie possible dans ce pays. Les membres du NLD expliquent en effet à de nombreuses occasions que la pression des nationalistes est telle qu’elle n’offre que très peu de leviers politiques pour un parti démocratique. Or, la lutte pour les droits de l’homme ne s’inscrit pas dans une attente, de suite ou à terme, de l’arrivée d’un levier politique quelconque. Aung San Suu Kyi a commis une erreur politique et personnelle en ne s’opposant pas aux nationalistes.

Une erreur politique car l’influence de son parti en a pâti et elle se trouve désormais fragilisée politiquement dans certaines régions qui, avant 2012, lui étaient acquises. Et, ensuite, personnellement elle a commis l’erreur de faire d’elle une personnalité internationale au caractère trouble et surtout à l’opportunisme assumé.

Une communauté internationale au silence assourdissant

Quid de la communauté internationale ? Emmanuel Macron n’a pas pris position sur un sujet qui pourtant est une abjection pour l’humanité et les droits de l’Homme. Une position européenne et internationale serait également la bienvenue sur la question. L’inquiétude au sujet d’une minorité musulmane monte également au sein de la population française qui, face aux clichés photographiques qui circulent, se sent impuissante.

La persécution des Rohingya est systémique et assurée. Elle est même assumée par le gouvernement qui ne fait rien pour mettre un terme aux appels de haine des différents leaders religieux. Un nouveau Daesh est né, mais cette fois-ci il n’empreinte pas les écritures de l’Islam pour en contredire la portée. Il se nourrit d’un nationalisme bouddhiste qui, lui aussi, se situe à mille et une années lumières du bouddhisme originel. Sans entrer dans ces considérations, qui appellent d’autres développements, quand est-ce que la France va prendre une position commune avec l’Europe sur la question et faire une déclaration solennelle sur la situation aberrante de la Birmanie ?

*Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur spécialisé sur les questions d’Islam et de libertés publiques, auteur d’un ouvrage sur la question des Ahmadis au Pakistan.