Karim Achoui revient sur la Coupe du monde de football, sur le joli parcours du Maroc et sur la colonisation de l’Afrique par la France.
« Notre système de colonisation consistant à ruiner l’Arabe, à le dépouiller sans repos, à le poursuivre sans merci et à le faire crever de misère, nous verrons encore d’autres insurrections ». (Guy de Maupassant).
Du mois d’orgie footballistique de la fin de l’année 2022, je retiendrai plusieurs choses plus politiques. D’abord le fait que les méchants Arabes ont été capables d’organiser un évènement sportif majeur sans emprisonner ni exécuter personne. Ensuite, qu’une équipe pleine d’arabes, entraînée – suprême impudence – par un Arabe (et non par un de ces traditionnels « sorciers blancs » vénérés par nous-autres, peuples inférieurs) a été capable de se hisser en demi-finale et d’enflammer joyeusement la planète. Enfin, que le ballon d’or 2022, certes un sale arabe, a été chassé sans ménagement ni égards de l’équipe de France au motif d’une blessure vénielle, qui ne l’aurait pas empêché de participer à la seconde phase de la compétition.
Peut-être cela fait-il trop d’arabes, mais on nous excusera de retenir les tropismes qu’on nous assigne. Ces histoires d’arabes, binationaux ou pas, m’ont refait penser à la magnifique histoire de ces stars algériennes du championnat de Division 1 française de la fin des années 50, qui avaient déserté leurs clubs, leurs contrats professionnels et même pour certains l’Equipe de France (Mustapha Zitouni et la légende Rachid Mekhloufi), pour former depuis Tunis la première équipe nationale d’Algérie : l’équipe du Front de Libération Nationale de football. De 1958 à 1962, ce « onze de l’indépendance » s’engagera dans une grande tournée mondiale d’environ 80 matchs, qui fera beaucoup, tant pour la promotion politique du projet indépendantiste (Alger, « Mecque des révolutionnaires ») que pour la fierté du peuple algérien en lutte.
Cette équipe mythique, qui remporta la grande majorité de ses matchs, vient nous rappeler quelque chose d’essentiel et de très bien enfoui : les Arabes peuvent gagner. On mesure mal ce qu’a pu représenter la colonisation à cet égard. La question n’est pas tant celle des meurtres, des viols et de la torture (les Européens les ont massivement pratiqué entre eux au cours de l’histoire), que de l’infériorisation de tout un peuple. La colonisation a fait de nous d’immenses perdants, a instillé dans nos esprits et pour des générations encore, que nous étions des tocards, tout justes apte à ramasser les miettes qu’on voudrait bien nous donner. La colonisation a privé nos pères de leur dignité et a privé leurs descendants, de cette tranquille fierté identitaire qui fait les peuples heureux et prospères.
L’engouement pour le parcours du Maroc a été mal interprété. Il n’avait rien à voir avec l’islam (la Turquie a fait une demi-finale en 2002 sans émouvoir personne en dehors de ses frontières), rien à voir avec l’arabité (combien d’arabes dans les fêtes à Douala, après la victoire contre le Portugal en quart ?) et tout à voir avec la colonisation de l’Afrique et ses effets sur nous tous, descendants de peuples humiliés et offensés.
On pourra dire qu’il n’est ici question que de foot. Je pense toutefois, contrairement au président Macron, que le sport, et le football en particulier, sont éminemment politiques. D’ailleurs le cri de ralliement des fans « One, two, three, viva l’Algérie ! » n’est-il pas dérivé du slogan indépendantiste « We want to be free ! » prononcé avec l’accent du bled ? Certains disent que cette histoire est un mythe. Cela tombe bien, c’est avec des mythes qu’on forge les identités victorieuses.
Karim Achoui, Avocat