Alors que personne ne conteste sérieusement l’existence d’une forme de haine spécifiquement dirigée à l’encontre des musulmans, progressivement émancipée du classique racisme anti-arabes, le mot « islamophobie » continue à être systématiquement contesté.

Cette contestation vient en effet en grande partie du mot lui-même et de son caractère largement inadéquat à décrire la réalité qu’il dénonce.

Ainsi, l’islamophobie c’est la peur de l’islam ou plutôt la haine de l’islam, puisque le suffixe « phobie » a clairement pris le sens de haine, en sortant du champ de la pathologie mentale.

La haine d’une religion donc, soit la haine de croyances, d’institutions, de rites et de principes qui n’ont de caractère sacré que pour ceux qui les adoptent. Au fond, dans un état laïc, une religion n’est qu’une idéologie, un corpus d’idées et d’objets.

La détestation de l’islam, être en ce sens « islamophobe », ne me paraît pas devoir constituer une opinion interdite, contre laquelle il faudrait lutter pénalement, au risque de sombrer dans un hygiénisme mental extrêmement dangereux et aux potentialités presque infinies.

Ce qui doit être combattu c’est le racisme, dont on sait très bien qu’il n’épouse par les contours phantasmatiques des races inventées au XIXème siècle et ne s’épuise pas aux seules différences de couleurs de peau.

L’antisémitisme est ainsi bien une forme de racisme, comme l’est la haine des musulmans.

Antisémitisme est d’ailleurs lui aussi un signifiant difficile eu égard à son étymologie étrange. Haine des sémites… Peu importe. Le mot est ancré, accepté par tous et surtout il porte en lui un aspect décisif qui manque à « islamophobie » : il désigne des individus. L’antisémitisme c’est la haine des juifs, d’un juif, de tous les juifs. Pas la haine de la religion juive ou alors accessoirement, non, juste la haine d’êtres humains qui se trouvent être de religion juive, à tout le moins supposément. Cela marque une différence fondamentale avec cet « islamophobie », qui désigne au premier chef la haine de la religion musulmane elle-même.

On objectera que cette haine des musulmans qu’il faut combattre découle de la haine de l’islam. Je pense que cette corrélation est très imparfaite. Bien des libres-penseurs vomissent l’islam, entre autres religions, sans avoir la moindre animosité à l’égard des musulmans, sans que leurs critiques, fussent-elles véhémentes, ne soient teintés de la moindre once de racisme. En outre, bien des racistes anti-musulmans n’ont strictement aucune idée de ce qu’est l’islam.

Le résultat de ce mauvais signifiant au signifié si confus est que le racisme anti-musulmans est mal pensé, mal traité, mal combattu, largement occulté par les sempiternels débats sur la laïcité, le droit au blasphème, la liberté d’expression, le droit de critiquer les religions et donc l’islam.

On s’écharpe, hors de toute continence laïque, sur l’herméneutique de telle ou telle sourate, pour mieux fermer les yeux sur les discriminations bien réelles subies au quotidien par les musulmanes et les musulmans. Comme si au fond, parce que l’islam doit pouvoir être critiqué, être musulman c’est déjà être un peu coupable, comptable jusqu’à l’infinie de tout l’islam et de tous ses proxénètes morbides, de Daesh, des princes saoudiens, des femmes lapidées, des imams débiles, des petites filles voilées, ad nauseam.

Défendre l’islam ne sert à rien dans le champ du droit et du combat anti-raciste. Tout l’effort doit être porté en revanche sur la lutte contre les discriminations subies par les musulmans. Cela ne pourra se faire efficacement qu’avec un autre mot qu’« islamophobie ». « Musulmanophobie » est un peu moche, mais je suis certain qu’il sera bien plus efficace que cet « islamophobie » aux contradictions indépassables.