Dans un entretien au Parisien, Manuel Valls revient à la charge sur les questions qui l’ont animé tout au long de son mandat de Premier Ministre : la laïcité. Sauf que ces questions n’ont fait que l’animer puisqu’il n’en a jamais réellement maîtrisé les contours, se contentant d’acquiescer pertes sur pertes. Le dernier grand désir de Manuel Valls est de voir le Président parler « fort » sur la laïcité alors que ce dernier a toujours montré une vision positive et conforme à la loi de 1905 depuis son élection présidentielle. Emmanuel Macron devra davantage parler « juste », beaucoup étant exténués par les polémiques à répétition concernant les musulmans de France.

Des échecs politiques…

Il ne faut pas hésiter à le rappeler, Manuel Valls a perdu tous ses combats concernant sa vision de la laïcité dans le débat politique. Manuel Valls avait longtemps parlé du voile à l’université, attendant ainsi une opinion publique qui serait éventuellement favorable à son interdiction. Or, Manuel Valls a été contraint de constater que le corps enseignant universitaire ne voulait pas réellement d’une laïcité telle qu’il la voit – qui trahit en réalité la vision des laïcs de 1905. En effet, les enseignants, rappelant la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits des l’Homme, ont estimé qu’ils ne souhaitaient pas qu’une telle législation entre dans le droit positif. Une première perte sur le terrain de la laïcité pour Manuel Valls.

Ensuite, Manuel Valls, suivant ainsi les désidératas d’Elisabeth Badinter, a soutenu que la mode « pudique », collection destinée aux femmes voilées, ne devait pas être admissible en ce que le voile est considéré par Valls comme un asservissement de la femme et comme un signe de résurgence de l’islamisme, qu’il ne prend d’ailleurs pas la peine de définir autre que par le nom de Tariq Ramadan. En réalité, beaucoup de parties prenantes de l’opinion publique avaient déjà contesté la question liée à la mode pudique en indiquant au Premier ministre d’antan de calmer ses ardeurs sur la question. Deuxième échec cuisant pour Valls sur la question d’articulation du fait religieux dans une société laïque. Cet échec ne tient pas lieu d’un échec de la neutralité – ou de la laïcité – mais bien d’une conception extrêmement extensive de celle-ci de la part de l’ancien Premier ministre.

Cela s’est confirmé lors des primaires au sein du Parti socialiste : les socialistes ont en effet donné leur confiance à Benoît Hamon qui, sur les questions de discriminations et de laïcité, était en opposition frontale avec Manuel Valls. Enfin, la perte d’influence de Manuel Valls au sein de sa ville historique, Evry, peut également s’expliquer par les différentes prises de position de ce dernier dans le débat public ces dernières années.

… et juridiques !

Manuel Valls a également accusé des revers juridiques puisque, sur la grande majorité des débats liés à laïcité qui ont été portés devant le Conseil d’Etat, il a subi un échec cuisant rappelant ainsi qu’outre les aspects politiques, même le droit n’appuie pas ses positions. Lorsque la polémique sur le burkini avait surgi, Manuel Valls n’avait pas attendu la décision du Conseil d’État avant de donner sa position sur la question.

D’emblée, il avait estimé que le burkini était un signe de l’Islam politique et qu’il convenait de l’interdire dans notre espace public. Manque de chance pour lui, le Conseil d’État a estimé qu’une telle position portait atteinte à la liberté de religion. Sur le débat du voile à l’université, ou encore sur celui du voile tout court, Manuel Valls n’a jamais su emporter la conviction tant de l’opinion publique que des juridictions. En réalité, seule une infime partie de la classe politique, dont la notion de tolérance est étrangère, semblait être en harmonie avec les positions de Manuel Valls, le disant courageux et appelant à une union autour de lui.

Actuellement remis sur le devant des projecteurs par l’affaire Charlie Hebdo-Plenel, Manuel Valls est toujours dans la démesure et ne change pas réellement sa position de fond. Malgré des échecs politiques et juridiques cuisants, malgré un manque d’intérêt manifeste pour ses positions à part dans un cercle très restreint, Manuel Valls persiste et signe, se faisant ainsi le prophète d’une nouvelle société à venir. Or, les musulmans de France sont bel et bien là et les voiles ne vont pas tomber parce que Manuel Valls a décidé de se faire le chantre d’une laïcité qui n’est ni conforme au droit, ni à l’esprit de 1905.

Donc j’appelle le Président de la République à mon tour à parler juste et à redonner à la laïcité l’espoir d’antan. Elle permet, à elle seule, sans être adjectivée, de créer du lien entre les couches sociales et il convient désormais que l’ancien Premier ministre l’entende.

De manière forte et ferme.

* Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur et confériencier, spécialisé sur les questions d’Islam et de laïcité. Il a publié aux éditions La Boîte à Pandore, les « Outils pour maîtriser la laïcité ».