Le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré le 9 novembre : « Nous sommes très loin d’en avoir fini avec l’antisémitisme. Les chiffres les plus récents sur l’évolution des actes antisémites dans notre pays sont implacables : + 69 % au cours des 9 premiers mois de l’année 2018.  » « Dès la mi-novembre, au ministère de l’Éducation nationale, une équipe nationale sera mobilisable en permanence pour intervenir dans les établissements scolaires en appui de tout enseignant confronté à l’antisémitisme. Sur ce sujet, comme sur toute violence, le gouvernement préférera toujours la transparence et l’action à la peur et au silence du #PasdeVague. Et je souhaite aussi mettre en valeur les initiatives menées pour défaire les préjugés racistes et antisémites. À ce titre, je remettrai, début 2019, le prix national Ilan Halimi, nouvellement créé. » [1]

Les statistiques du ministère de l’intérieur sur les actes considérés comme haineux ne sont pas exhaustives

Les statistiques sur les actes racistes, antisémites et antimusulmans se composent de la manière suivante [2] : le service central du renseignement territorial (SRCT) fait une synthèse chiffrée comptabilisant les actions et les menaces racistes, en se réunissant avec les associations juives et musulmanes, qui établissent leurs propres données. Ce type de procédé n’a aucune valeur statistique.

Le CFCM  n’est pas en mesure de fournir des données sur les actes antimusulmans. Il est en effet centré sur le culte et n’a pas vocation à défendre les droits. Par ailleurs, les associations musulmanes sont sous-représentées dans ce type de réunions, ce qui accentue le déséquilibre et ne permet pas de réunir des données fiables sur la quantité et le type de discriminations. Les pouvoirs publics n’ayant pas une vision claire de la situation, ne peuvent pas adapter leurs outils de lutte contre la haine.

Le député François Pupponi a plaidé pour des statistiques précises : « C’est la communauté juive elle-même qui fait ses propres statistiques. »

En France les statistiques ethniques sont interdites, ce qui ne permet pas de connaître l’impact discriminatoire sur les minorités. C’est ce que nous avions dénoncé avec le réseau Antiterrorisme Droits et Libertés, lors de l’examen périodique universel de la France. [3]

La journaliste Géraldine Woessner, à propos de ces statistiques, souligne que, pour l’année 2017, le ministère de l’Intérieur a déclaré 950 actes relevant de la haine. Le média Europe 1 les a comparés avec les statistiques de la sécurité intérieure et la journaliste souligne : « 9 500 infractions à caractère raciste ont été entrées dans les logiciels de la police et de la gendarmerie en 2016, soit près de 10 fois plus (en encore, on ne parle que des procédures transmises aux parquets). » Les chiffres que publie la justice ne peuvent pas être les recoupés avec ceux de la police, ce ne sont pas les mêmes logiciels. [4]

Nous n’avons pas de données statistiques sérieuses sur les actes antisémites, antimusulmans et racistes

La CNCDH soulignait qu’en « l’absence de chiffres vraiment fiables sur les actes islamophobes, il est difficile d’établir une proportion exacte du total des actes enregistrés.  En clair, puisque la méthodologie générale du SCRT et que la collecte spécifique côté musulman ne sont pas exhaustives, il est difficile d’affirmer que les actes antisémites représentent un tiers (ou même 40 % comme dans cette étude de 2013) des crimes et délits racistes. »

Le second problème vient du manque de statistiques ethniques qui, là encore, nous empêche d’avoir une quelconque transparence, ainsi qu’une méthode fiable pour comptabiliser les discriminations.

Il est important de rappeler que l’antisémitisme est un délit. Mais, si les actes antisémites ont accentué la nécessité de mieux protéger la communauté juive, il ne faudrait pas qu’ils relèguent au second plan les autres groupes discriminés. À ce sujet, nous ne comprenons pas pourquoi les autorités françaises ne publient jamais de rapports sur le racisme antimusulmans.

Le dernier en date : « rapport Renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet » [5] : le rapport évoque peu la cyber haine contre les musulmans. Il va jusqu’à réfléchir à la définition des discriminations qui visent spécifiquement cette communauté : il faudrait  selon lui donner en priorité un autre nom que  « islamophobie ».

Pourtant le racisme antimusulmans, antimigrants est en très forte hausse sur les réseaux sociaux, les groupes d’extrême droite associant à dessein musulmans et migrants. Des campagnes, lancées sur les réseaux sociaux et relayées pas certains médias, ont fait du sujet « musulman » un véritable fonds de commerce éditorial.

Le rapport souligne peu les discriminations sur les musulmans. Nous ne doutons pas de la bonne foi des auteurs. Cependant, si le rapport évoque deux actes antisémites ayant entrainé la mort de deux personnes, il n’évoque pas distinctement le racisme antimusulman.

À propos de « L’essor des discours haineux sur Internet », le rapport note que : « La haine qui continue de prospérer en France a des racines profondes, on le sait. L’antisémitisme a certes changé de visage, mais son venin est toujours aussi mortel : depuis 2006 avec Ilan Halimi, plus récemment avec Mireille Knoll, des Français sont tués parce qu’ils sont de confession juive. »

En ce qui concerne le racisme antimusulmans, le rapport n’arrive pas à trouver un nom pour qualifier cette discrimination. Pas plus qu’il ne souligne d’autres cas de victimes.

Il note en parallèle à propos du  racisme antimusulmans que: « l’on voit grandir dans la société, notamment sous la forme d’une ‘islamophobie’, pourrait faire l’objet d’une définition précise, à même de donner lieu à̀ une mesure pertinente et à la mise en œuvre d’outils efficaces permettant de l’endiguer. »

Sachant que plusieurs attentats d’extrême droite visant les musulmans ont été évités, que les réseaux sociaux et certains médias discriminent et stigmatisent les musulmans, ADM demande aux autorités françaises :

  • d’appliquer l’égalité en droit, de lutter contre toutes les discriminations de la même manière, de prendre en compte le racisme antimusulmans ;
  • de collaborer avec les associations issues de la société civile musulmane afin d’équilibrer les partenariats, afin que la société civile puisse représenter toute la population ;  les plateformes de médias sociaux devraient prendre en compte les minorités ethniques et religieuses musulmanes et les migrants ; car celles-ci sont sous-représentées dans leurs actions avec la société civile en France.

[1] https://www.facebook.com/2109784355914899/posts/2466336686926329/

[2] L’antisémitisme, une réalité difficile à mesurer précisément
LE MONDE | 29.03.2018 à 17h39 • Mis à jour le 07.05.2018 Par Mathilde Damgé

[3] Intervention à l’ONU sur la discrimination des musulmans et le contrôle des lois antiterroristes.Déclaration des signataires du Réseau Antiterrorisme Droits et Libertés. Déclaration orale UPR /France  Conseil des Droits de l’Homme  – ONU Geneve-28 Juin 2018 https://adm-musulmans.com/

[4]  Existe-t-il une statistique fiable concernant les actes antisémites ?
le 02 février 2018 _ Europe 1 http://www.europe1.fr/emissions/le-vrai-faux-de-l-info2/existe-t-il-une-statistique-fiable-concernant-les-actes-antisemites-3563078

[5]  Renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet-Rapport remis au Premier ministre le 20 septembre 2018 Karim Amellal, auteur et enseignant, Laetitia Avia, députée de Paris, Dr Gil Taïeb, vice-président du Conseil représentatif des institutions juives de France.