Depuis la proclamation de l’état d’urgence, les pouvoirs supposément conçus pour lutter contre le terrorisme ont régulièrement été utilisés aux fins de répression des luttes sociales. En mars 2017, le collectif Luttes invisibles recensait déjà plus de 2 000 personnes arrêtées et poursuivies pour fait de grève ou manifestation au cours des 13 mois précédents. Quiconque ayant été impliqué·e dans le mouvement social ou dans des manifestations ces deux dernières années connaît forcément une ou plusieurs personnes dans cette situation. Même Amnesty International s’est fendu d’un rapport  qui dénonce les excès de la force publique contre la liberté de réunion et le droit de circuler librement, et mettait en garde contre la spirale sécuritaire vertigineuse dans laquelle la France est en train de s’enfoncer. Ce fut naturellement sans effet, puisqu’après deux ans de dérives policières sous couvert d’un régime présenté comme « exceptionnel », la dernière loi « antiterroriste » a transposé la quasi-totalité des dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun, non sans prétendre sortir de l’exception tout en faisant entrer celle-ci dans la norme. Nous voici donc censés être sortis de l’état d’urgence alors qu’émerge l’État policier.

Il semble qu’en conséquence il soit non seulement permis d’interdire des manifestations mais aussi d’envoyer des militants pacifiques en prison. D’abord vous vous voyez plaqué·e au sol par des policiers, et maintenu·e par une clé de bras si vous avez de la chance, sinon par une clé d’étranglement, puis vous êtes placé·e en garde-à-vue avant d’être déféré·e au tribunal pour une comparution immédiate ou convoqué·e ultérieurement si vous parvenez à vous y opposer. Vous aurez automatiquement contre vous une plainte des policiers pour outrage à agent, rébellion et violences, qu’importe que vous n’ayez rien fait, tandis que les vraies violences à votre égard ne seront à l’évidence pas reconnues. Dans le meilleur des cas, le procureur invoquera en guise d’excuse les conditions de travail difficile des policiers en période de menace terroriste et c’est au nom du même argument que votre volonté de manifester passera devant le juge pour une menace à la nation. En tout état de cause, il vous faudra répondre de violences sur agent, et par retournement de la charge de la preuve, ce sera à vous de prouver votre innocence. Inutile de préciser que si vous n’avez pas de preuve vidéo, de témoins solides et d’avocat expérimenté, vos chances sont quasi-nulles: « comment osez-vous réfuter la version policière ? »

En militant exercé et conscient, Marcus n’ignorerait pas ce danger en se rendant le 3 juin 2016 à une manifestation pourtant pacifique devant le siège du groupe Bolloré, mais il arrive un moment du rassemblement où la majorité des manifestants se sont éloignés en laissant un petit groupe seul derrière eux en discussions (très calmes) avec des actionnaires de Bolloré. Ce petit groupe isolé se retrouve rapidement encerclé par la police. Se faisant brutalement interrompre alors qu’il est en pleine conversation avec un actionnaire, Marcus fait remarquer qu’il veut juste finir sa conversation et l’actionnaire en question abonde en ce sens. Cette élémentaire remarque de savoir-vivre est malheureusement prise comme un outrage et très vite plusieurs policiers se dirigent sur Marcus et son interlocuteur. L’un d’eux frappe violemment Marcus au visage, manquant de lui faire tomber ses lunettes. Le petit groupe comprend à ce moment-là que les autres manifestants ont quitté les lieux et Marcus, qui avait laissé ses affaires, aperçoit au loin un militant qui est en train de partir. Désireux de récupérer son matériel, il part dans sa direction. Comme quatre policiers le suivent, Marcus s’arrête et les policiers lui disent qu’il est placé en garde-à-vue. Ne voulant pas être arrêté sans que personne ne le sache, Marcus part en courant pour essayer de rattraper le groupe principal, puis ne le voyant pas, il retourne vers la porte latérale où se trouvaient encore les 3-4 camarades « oubliés ». Là, plusieurs policiers lui sautent dessus, l’insultent, le gazent, cassent ses lunettes et son téléphone. Marcus est arrêté, et plaqué au sol à la limite de l’étouffement. Comme plusieurs policiers sont sur lui, leur chef vient les voir et leur dit «Allez-y doucement car là nous sommes à découvert».

« Un homme noir qui court est nécessairement un coupable »

S’ensuivent 48 heures de garde-à-vue, un jour de dépôt, deux jours de prison, une perte d’emploi, puis un passage devant le juge et une condamnation à six mois de prison ferme, 1 100 euros de dommages et intérêts et 400 euros d’amende, pour outrage et rébellion et refus de signalétique et de prélèvement ADN.

La dureté de la peine est à l’image de la brutalité de l’arrestation, et l’une et l’autre ne peuvent être totalement indifférentes du fait que Marcus cumule la circonstance aggravante d’être noir en plus d’être militant, et bien que certains aient les plus grandes difficultés à l’admettre, il ne fait désormais aucun doute qu’au regard du couple police-justice en France, un homme noir qui court est nécessairement un coupable. En conséquence, le seul espoir d’obtenir justice pour Marcus face à une version policière sacralisée et jamais mise en doute, c’est de montrer qu’il est soutenu, de clamer sans relâche son innocence, et de ne jamais renoncer à faire connaître au plus grand nombre comment s’exerce la répression contre la liberté d’expression. Des affaires comme celle-ci sont légion par les temps qui courent, et face à leur multiplication, nous n’avons d’autre alternative que de leur opposer une solidarité déterminée et systématique.

Soyons nombreu·x·ses au procès en appel de Marcus, le 23 janvier 2018 à la cour d’appel de Versailles.

Faîtes un don pour aider à payer les frais de justice.

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