LeMuslimPost : Comment est née l’idée de ce colloque sur les afroféminismes et les féminismes musulmans ? 

Malika Hamidi : Ce colloque est un évènement à l’initiative du collectif féministe Kahina dont je fais partie, mais aussi soutenu par des universitaires belges comme la docteure en sociologie Sarah Demart et de la professeure de droit Fabienne Brion. L’idée était de faire un colloque hybride, à la fois académique et de terrain.

Je pense que ce colloque était nécessaire car en tant que militante et chercheuse qui a travaillé depuis de longues années sur la question des féminismes musulmans, je me suis rendue compte qu’il y avait des luttes sur lesquelles on pouvait se rejoindre, ou en tout cas des problématiques que nous posions qui étaient similaires au sein du mouvement afroféministe. 

Quels sont les points communs entre ces deux mouvements féministes ? 

Il faut d’abord dire que le mouvement afroféministe est traversé par des courants divers et variés tout comme le féminisme musulman, qui ont une histoire propre, une mémoire. L’idée était de revenir sur l’actualité de ces mouvements. Tout comme les afroféministes, nous posons la question du sexisme et du racisme ainsi que notre place dans le mouvement féministe mainstream. Notre point commun est la ré-appropriation des espaces de contestation et de la parole : qui parle pour qui ? Nous posons aussi un acte militant et politique qui est de définir notre propre identité. 

La sexualité et l’esthétique sont également des thèmes qui nous sont communs. Il y a aujourd’hui une « racialisation de l’esthétique » pour reprendre les termes d’Elsa Dorlin. C’est l’idée qu’on voudrait ériger en norme le physique de la femme blonde aux yeux bleus et à la peau blanche, comme la beauté universelle. On exotise alors le corps de la femme noire et la femme musulmane sous son foulard est toujours l’objet de fantasmes. 

Enfin, les afroféministes comme les féministes musulmanes veulent dire qu’elles sont des sujets politiques et qu’elles refusent d’être des objets d’études. Nos luttes sont des luttes en miroir. 

La question de l’intersectionnalité durant ce colloque a également été longuement abordée. Est-ce un terme essentiel chez les afroféministes comme chez les féministes musulmanes ? 

Aujourd’hui le concept d’intersectionnalité ouvre différents horizons d’espoir, car il met en lumière les systèmes d’oppression que vivent les femmes sur la base de leur appartenance raciale, sexuelle, sociale, ou religieuse. Il faut déconstruire ces grilles de lecture orientalistes, ainsi que ces systèmes de domination engendrés par le patriarcat, le capitalisme etc. L’intersectionnalité remet en question un certain ethno-centrisme au sein du féminisme mainstream, « blanc ». Il ouvre également des fenêtres d’espoir pour des pratiques féministes plus solidaires.

« Il faut que nous ayons le courage d’être auto-critiques »

Aujourd’hui, qu’est-ce qu’apporte l’afroféminisme au féminisme musulman ? Comment cela se concrétise ? 

C’était justement l’objet de ce colloque, qui était le tout premier à réunir les afroféministes, les féministes musulmanes et les afroféministes musulmanes.

Je suis curieuse de voir comment nous pourrons créer des alliances, si nous devons en avoir. Car ce qui a été pointé, ce n’est curieusement pas des problèmes d’ordre féministes, mais le problème de la négrophobie au sein des communautés arabes et également le racisme des noirs envers les Arabes. Cela veut donc dire que si nous voulons avancer vers des alliances il faut d’abord qu’on règle ces différents entre nous et avoir le courage d’être auto-critiques. 

En 2004 avec des féministes comme Christine Delphy, nous avons dû mettre à plat la question du foulard. Les féministes mainstream voulaient comprendre pourquoi nous avions se besoin de nous voiler. Ce colloque a été de la même façon, l’occasion d’exprimer des blessures et des différents, sans tabous.

Comment le féminisme musulman a t-il de son côté évolué depuis 2004 et les crispations autour du port du foulard ? 

En 2004, la question du port du foulard était la première chose sur laquelle on nous interrogeait toujours. Aujourd’hui on est face à une génération qui porte le foulard de différentes manières (turban, voile à la turque, voile traditionnel etc). Les femmes se sont ré-appropriées la mode. Ce sont aussi des musulmanes qui ont changé. On est face à des femmes éduquées, qui ont les armes théoriques pour définir une émancipation. Elles sont audacieuses et ne sont plus dans la frustration. En France il y a encore des crispations autour du voile, mais c’est en réalité une minorité à qui on donne de la voix. 

L’association Lallab a commencé à normaliser la présence des femmes musulmanes dans l’espace public et médiatique. Je pense qu’on est au sortir du crise, mais qui va en engendrer une nouvelle car nous sommes face à une certaine classe politique et intellectuelle qui voit d’un très mauvais oeil la visibilité du religieux dans l’espace public. Le problème c’est que l’on a des femmes de plus en plus diplômées, engagées en politique, donc le rapport de force devient de plus en plus violent.

« Chez les féministes musulmanes, nous avons tendance à oublier que nous sommes aussi des afro-descendantes »

Vous vous définissez comme « une afroféministe musulmane de la diversité ». Qu’entendez-vous par là ? 

Je pense que chez les féministes musulmanes, nous avons tendance à oublier que nous sommes aussi des afro-descendantes. Le fait de se définir et d’assumer ses racines africaines pourrait peut être rassurer les afroféministes, qui ne sont pas définies comme musulmanes si elles ne portent pas le voile. On les renvoie d’abord à leur appartenance africaine, comme Rokhaya Diallo, que l’on dit afroféministe mais qui est aussi musulmane. Il faut essayer de trouver une manière de mettre en liaison ces identités. 

Le mot diversité est aussi important, car la féministe intersectionnelle, c’est une féministe victimes de plusieurs discriminations. Mais la diversité pourrait apporter des réponses à cela. 

Pour vous, le public du colloque représentait le « féminisme de demain ». Pourquoi ? 

C’est un réel espoir car la salle était parfaitement hétérogène. Non seulement d’un point de vue des appartenances raciales mais aussi de l’appartenance générationnelle avec des jeunes filles, des trentenaires et des féministes de la deuxième vague. Je pense que nous allons faire émerger la troisième vague du féminisme.