C’est certainement un hasard du calendrier. En une semaine, on a vu fuiter une note des services de renseignement pointant « les dérives du communautarisme à l’école » — notamment parce que des élèves mangeraient halal ou refuseraient de s’asseoir sur du mobilier rouge —, le ministre de l’Education nationale faire une seconde fois la promotion de sa hotline permettant de régler tous les problème de laïcité dans les établissements scolaireset enfin un bilan de stop-djihadisme qui prouverait la « radicalisation islamiste » dans le sport qui seraient en pleine expansion.

A les écouter, donc, la France serait donc en voie d’« afghanistanisation » et la laïcité serait en péril. Un péril islamique, faut-il le rappeler ? Mais de quels problèmes de laïcité parle-t-on ? Le point commun de toutes ces informations, c’est le flou total qu’elles véhiculent. On ne sait pas vraiment ce qu’est cette « radicalisation » dont on parle, on ne voit pas bien en quoi le « communautarisme » serait en train de dériver et, surtout, les chiffres manquent cruellement pour nous expliquer de quoi on parle vraiment.

« Ces notes et bilans sont agités comme des épouvantails contre le péril islamique »

Ces notes et bilans sont en tout cas agités comme des épouvantails. Ils font en tout cas le bonheur de « Valeurs actuelles », « Marianne » et « Atlantico ». Au moment où la justice est en train de donner raison aux menus de substitution, on relie allégrement le halal à l’islamiste — voir le rapport de Hakim El Karoui. Au moment où se pose la question du manque de mosquées, prier serait devenu un signe de radicalisation. Au moment où une circulaire du ministère de l’Education nationale autorise les élèves à prendre congé pour les grandes fêtes religieuses, on décrète que demander des dérogations de calendrier serait une atteinte à la laïcité.

Aristide Brillant n’en aurait-il pas fait assez ? « La laïcité, c’est la liberté imposée aux religions et non la répression des religions », expliquait en 2014 Jean Baubérot. Nous sommes pourtant aujourd’hui entrés dans une vraie répression — ou, à défaut, une surveillance étroite — d’une religion en particulier : l’Islam. Le bilan de la hotline de Blanquer le confirme : si le ministre se targue par exemple que ses équipes aient traité 400 cas d’atteinte à la laïcité sur les 1 000 signalements d’enseignants, il oublie de parler des 600 délations non traités, et donc abusives.

« Non, la France n’est pas l’Afghanistan mais elle pourrait devenir l’Italie de Salvini ou la Hongrie d’Orban »

Eux parlent de repli identitaire ou communautariste là où on assiste à une repli argumentaire. Car le débat devrait être ailleurs : doit-on trouver normal que les enfants de la République soient, à ce point, scrutés et surveillés parce que musulmans ? L’hystérie collective semble avoir pris le dessus sur la raison. Comme lorsque l’un des animateurs les plus populaires du PAF organise un débat sur la burqa en liant son interdiction à la laïcité là où la loi sur l’interdiction de la dissimulation du visage se fonde sur la sécurité publique et l’interaction sociale.

Mais d’où vient cette hystérie ? On semble reprocher à Emmanuel Macron son silence sur une laïcité qui ne va pas si mal qu’on le laisse penser. Mais le président de la République est peut-être celui qui est aujourd’hui le plus rationnel dans son approche de la loi de 1905, là où son ministre de l’Education nationale joue au pompier-pyromane. Non, la France n’est pas l’Afghanistan. Mais avec ce genre de discours, elle pourrait à court terme devenir l’Italie de Salvini ou la Hongrie d’Orban.