La récente déclaration de Vincent Peillon, candidat à la primaire de la gauche et ancien ministre de l’Education nationale, assimilant la situation des musulmans de France aujourd’hui à celle des juifs sous Vichy désignés par le port de l’étoile jaune, a agité la sphère médiatico-politique. Voilà ce qu’a déclaré l’homme politique pour faire tant de bruit : « Il y a 40 ans, les juifs à qui on mettait des étoiles jaunes, c’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans qu’on amalgame souvent avec les islamistes radicaux. C’est intolérable…. » La déclaration a été taxée de « choquante », « honteuse », d’être « une basse réécriture de l’histoire. » Je ne veux me réduire à en avoir une vision manichéenne et à casser du sucre sur le dos de quiconque. Si les propos contiennent, en effet, un caractère dérangeant, ils mettent aussi le doigt sur une réalité islamophobe, malheureusement dénoncée maladroitement.

Une vision restreinte du « musulman »

Il me semble, en effet qu’il existe en France une véritable islamophobie ! Les institutions, trop souvent, la minimisent. On préfère parler d’« actes antimusulmans » ponctuels, niant — du moins masquant — ainsi une réelle problématique socioculturelle d’ampleur non négligeable, bien que non généralisée et généralisable. Et il faut bien avouer que Vincent Peillon ose reconnaître et dénoncer cette islamophobie terrible, sans démagogie, et s’insurge contre elle. Seulement, ses mots témoignent d’un emportement déplacé et d’une vision assez simpliste de la communauté musulmane et de la société française actuelle, faite de divisions complexes certes, mais pas que.

Ainsi, affirmer que certains musulmans sont victimes d’amalgames, oui !

Affirmer qu’une réelle paranoïa confusionniste se multiplie avec les attentats et la montée du djihadisme venant fonder une image orientée et déformée de l’Islam et de ses pratiquants, oui !

Mais considérer l’ensemble des musulmans comme des victimes au même titre que les juifs qui furent véritablement victimes d’un génocide pendant la seconde Guerre Mondiale, dont l’Histoire de l’Humanité garde encore l’empreinte, non.

Non, parce que cela amène à une vision restreinte du « musulman » : le musulman devient une victime amalgamée, rejetée, cela renforce aussi le prosélytisme et s’avère en fait conduire à l’acceptation d’une vision raciste du musulman réduit au musulman rejeté, du musulman dont on a peur, celui de banlieue, celui traité de « racaille » et vite stigmatisé. Parce que si les musulmans sont stigmatisés au même titre que les juifs portant l’étoile jaune, cela revient à dire qu’on peut identifier le musulman selon des critères clairs, qu’être « musulman » devient donc le seul critère de définition identitaire qu’une part de la société remarquerait. Seulement comment reconnaître un musulman ? Que sait-on des musulmans ? Un musulman peut aussi être un entrepreneur, un riche homme d’affaire, un converti au physique très « français » habitant le centre d’une grande ville, ou la banlieue désaffectée.  Que sait-on des musulmans ? On pense les connaître…

Avoir conscience de l’antisémitisme passé permet aujourd’hui la prise de conscience de l’islamophobie

On en parle sans trop leur laisser la parole bien souvent et si les musulmans peuvent être victimes de discriminations, ils ne sont pas des « victimes » et les ancrer dans cette seule position est une façon de creuser les fossés et de mépriser les musulmans en tant que citoyens pluriels. C’est aussi rentrer dans le jeu de l’amalgame que de considérer les « musulmans » en seules victimes incapables de rétorquer et de se soulever contre des processus qui seraient donc similaires à ceux vécus par les juifs en 39-45. Et c’est aussi dédramatiser maladroitement la violence du génocide juif. Car si je suis le premier à dénoncer la discrimination, je le fais justement pour qu’un holocauste antimusulmans n’ait jamais lieu car ce que vécurent les juifs ne doit jamais se reproduire et ne se reproduira jamais à l’aune de la lumière du phare Histoire projetée sur le monde et les consciences et ayant impacté la société.

Une Shoah bis version musulmane ne se produira pas, parce qu’il y a eu les juifs avant et que, justement, sans aller jusqu’à comparer les musulmans montrés du doigt aux juifs portant l’étoile jaune, avoir conscience de l’antisémitisme passé et de ses conséquences désastreuses permet aussi aujourd’hui la prise de conscience de l’islamophobie contemporaine, et d’éviter qu’elle ne conduise à un tel désastre. Parce que le droit a aussi, depuis été constitué un bouclier pour empêcher que de tels désastres ne se reproduisent. En effet, le délit d’incitation à la haine raciale est passible de peines importantes. La loi de 1905, en ce qu’elle a de meilleur, permet le vivre-ensemble dans le respect de l’altérité. La loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe est une arme légale et juste déposée entre les mains des victimes qui, par le droit obtiennent réparation et prennent le pouvoir contre la bêtise et l’obscurantisme et cette vision légaliste et positive que j’aime à défendre. Bien sur, la loi n’empêche pas les citoyens d’être racistes, à tout niveau, mais ce racisme les rendra coupables et, en cela, les musulmans seront peut-être victimes, mais ils dépasseront ce statut pour s’affirmer socialement au-delà de cette dichotomie et de cette basse haine.

Généraliser a souvent été destructeur et réducteur

Et, non, nous ne nous soumettrons pas ! La France a crée une nouvelle catégorie de citoyens : des citoyens français musulmans ; des musulmans à l’arrogance française. Et nous ne nous laisserons pas faire. Jamais. Une nouvelle dynamique musulmane est en train de naître avec notamment le développement du digital qui donne une plus grande visibilité à la communauté. De plus, les musulmans en France sont aujourd’hui nombreux, si le Figaro estimait qu’environ 10 % de la population française serait musulmane, certains pensent davantage que nous atteindrions bientôt les 30 %, souvent dans des discours alarmistes sur fond apocalyptique transformant les musulmans en envahisseurs. Quoi qu’il en soit le nombre de musulmans en France n’est pas négligeable et est, selon les études de l’Insee, voué à augmenter. Non, les musulmans ne se laisseront pas faire, nous dénoncerons l’islamophobie, refuserons de nous y soumettre, et dépasserons la haine par la force du partage dans le respect des pluralités identitaires. Il est inadmissible voire, en fait, ridicule, de parler d’1,6 milliard d’individus, à partir d’un cas « isolé » et généraliser a souvent été destructeur et réducteur.