Depuis plusieurs jours, Karim Achoui est la cible d’une campagne de dénigrement de la part d’une partie de la presse française. Personnage sulfureux,  à cause peut-être de son passé d’ancien « avocat des voyous », comme la presse aime à la surnommer, ce natif de Boulogne-Billancourt intrigue les journalistes, qui n’hésitent pas à mettre en cause sa légitimité dans l’affaire Adama Traoré. « L’avocat Karim Achoui met son grain de sel », titre ainsi L’Express. « Mais que vient faire l’ancien avocat Karim Achoui dans l’affaire Adama Traoré ? », demande 20 Minutes. Mais c’est finalement le site BuzzFeed qui livre l’enquête la plus conséquente — et à charge — sur l’avocat d’Adama Traoré, mais aussi de Moussa, l’humanitaire français qui vient tout juste de rentrer du Bangladesh après y avoir été longtemps détenu dans l’indifférence quasi générale des médias. Des affaires que le site à clics définit comme « l’étrange business de l’avocat Karim Achoui. » L’avocat est accusé de ne prendre que des affaires médiatisées pour être dans la lumière. A la lecture de cet article, nous avons voulu en savoir plus sur les propos de David Perrotin, auteur de l’enquête. Notamment parce que Karim Achoui est chroniqueur pour Info Halal, qu’il a été élu personnalité préférée des musulmans en 2013 par oumma.com, que nous savons que c’est justement sa présence qui permet à certaines affaires d’être médiatisées et qu’il nous paraissait indispensable de vérifier avec le principal intéressé les éléments énoncés par BuzzFeed à charge contre lui. Nous avons donc décidé de démêler le faux du vrai.

Non, Karim Achoui ne s’est pas « autoproclamé » avocat de Moussa

« Le 25 décembre dernier, Karim Achoui annonce sur Facebook défendre Moussa Ibn Yacoub, le jeune humanitaire membre de l’ONG BarakaCity, incarcéré au Bangladesh », écrit BuzzFeed. Le site indique que « Me Achoui s’est auto-mandaté, et s’est rendu au Bangladesh de son propre chef. » David Perrotin cite Moussa, qui assure que c’est le consul de France qui lui a indiqué que Karim Achoui voulait le représenter. « Je lui ai dit de voir ça avec BarakaCity. Dix jours après, lors d’une audience, un avocat local a été mandaté par Achoui et m’a demandé de signer un papier. J’ai refusé et il m’a mis en lien avec la secrétaire de Karim Achoui. Elle m’a rassuré en me disant qu’il travaillait en étroite collaboration avec mon association. J’ai donc accepté », indique ensuite l’humanitaire. Or, dans un enregistrement que nous nous sommes procuré, Moussa remercie Me Achoui, lors d’une conversation téléphonique, d’avoir « pris avec engouement cette affaire dès le début. » Dans cet enregistrement, Karim Achoui n’indique à aucun moment être mandaté par BarakaCity, tandis que Moussa se plaint du rôle peu efficace des autorités françaises sur place. Nous avons également eu accès à la lettre de désignation rédigée et signée de la main de Moussa et désignant bien Karim Achoui et Samim Bolaky, avocats français, pour sa défense, ainsi qu’à des « selfies » de Me Achoui et de Moussa, prouvant donc que les deux hommes se sont rencontrés au Bangladesh.

Moussa, détenu au Bangladesh, et son avocat.

A gauche, la lettre de désignation de Karim Achoui comme avocat de Moussa. A droite, l’avocat et son client.

Karim Achoui a-t-il cherché à être sous le feu des projecteurs avec cette affaire médiatisée ? L’avocat assure que non : « J’ai été alerté, à l’heure où l’affaire n’était en rien médiatique, la presse ne se préoccupait pas du sort de Moussa, musulman, arrêté au Bangladesh et ce, dans des conditions absolument et évidemment injustes », se souvient l’avocat. « Très rapidement, de suite après avoir appris l’arrestation de Moussa, en tant que citoyen français, musulman, engagé auprès des opprimés, acharné dans la lutte contre les discriminations, j’ai voulu réagir. J’ai donc pris contact sur place en tant qu’avocat et président de la Ligue de défense judiciaire des musulmans », se défend Karim Achoui, qui a ensuite « contacté des institutions politiques, l’ambassade, sans pour autant (s)’approprier l’affaire. » Me Achoui assure avoir fait cela « bénévolement » et « sans espérer quoi que ce soit en retour. » Moussa, désespéré, aurait alors supplié l’avocat « de l’aider, de ne pas l’abandonner. »

Non, Karim Achoui n’a pas attaqué la famille de Moussa en justice

Pour BuzzFeed, « la légitimité (de Karim Achoui) en tant que représentant de l’humanitaire français a volé en éclat le 12 février 2016 lorsque le frère de Moussa, Kamdem Tchantchuing, assure au Courrier de l’Atlas ne jamais avoir mandaté Karim Achoui. » L’avocat indique effectivement avoir porté plainte pour diffamation, Mais, poursuit Karim Achoui, « je n’ai pas déposé plainte contre lui tout d’abord, je l’ai assigné devant la 17e chambre du Tribunal de grande instance de paris, soit, la chambre de la presse, pour diffamation ; de même que le directeur de publication et que le Courrier de l’Atlas dans lequel est paru l’article, comme le veut la juridiction. » L’avocat assure avoir déposé sa plainte « non contre Moussa et sa famille, mais contre Kamdem et les coresponsables de la publication d’un article mensonger nuisant à (sa) légitimité et venant bafouer (son) travail et (son) engagement auprès de Moussa. »

Surtout, Karim Achoui affirme avoir « retiré toute poursuite à l’encontre de Kamdem, et ce, pendant le ramadan, période de paix et de pardon. » « J’ai en effet taché de comprendre, avec sagesse, dans quelle détresse avait pu se trouver me frère de Moussa, quelle pression pesait sur ses épaules, quelle tristesse l’assaillait, et j’ai décidé, dans un esprit de paix et d’union, de cesser toute poursuite », poursuit l’avocat, qui estime que, là encore, BuzzFeed a tenté de faire de lui « un monstre » en publiant un « mensonge total lorsqu’il affirme, au présent, qu’une plainte contre Kamdem est déposée… »

Pour ce qui est du fait de ne pas avoir mandaté, Karim Achoui, BuzzFeed fait une interprétation étonnante de la loi. En effet, l’article 115 du Code de la procédure pénale indique que, « lorsque la personne mise en examen est détenue, le choix effectué par elle en application du premier alinéa peut également faire l’objet d’une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire. Cette déclaration est constatée et datée par le chef de l’établissement qui la signe ainsi que la personne détenue. Si celle-ci ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l’établissement. Ce document est adressé sans délai, en original ou en copie et par tout moyen, au greffier du juge d’instruction. La désignation de l’avocat prend effet à compter de la réception du document par le greffier. »

La famille Traoré a bien confirmé que Karim Achoui était l’avocat de la sœur d’Adama

BuzzFeed prétend qu’une partie de la famille Traoré n’aurait pas désigné Karim Achoui comme avocat pour défendre le cas Adama Traoré. C’est totalement vrai. Cependant, Karim Achoui n’a jamais affirmé être l’avocat de toute la famille Traoré, mais d’une partie d’entre elle. Le communiqué publié par la famille, que nous avons consulté, indique très distinctement que, « si Me Frédéric Zajac est, à ce jour, l’avocat principal de la famille Traoré, Me Karim Achoui a également bien été désigné comme avocat par l’une des sœurs. » Nous avons eu accès à la lettre de désignation rédigée par Hawa Traoré, sœur jumelle d’Adama Traoré, désignant Me Achoui comme avocat en sa qualité de partie civile.

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A gauche, la lettre de désignation de Karim Achoui comme avocat d’Hawa Traoré. A droite, l’avocat et sa cliente.

Karim Achoui n’a pas facturé de frais supplémentaire à la famille Zahoum

BuzzFeed assure que « Lena Zahoum dit vivre un calvaire depuis que Karim Achoui s’est proposé de défendre son frère Rachid, incarcéré à Pattaya en Thaïlande. » Une nouvelle fois, Me Achoui ne s’est pas imposé pour défendre Rachid. L’avocat a simplement répondu à un appel de la famille Zahoum lancé sur les réseaux sociaux. Là encore, nous avons pu consulter la lettre de désignation écrite par Lena Zahoum, qui indique qu’elle demande à Me Achoui d’être son avocat de cette affaire loin d’être médiatique.

Affaire Zahoum Thaïlande

Un extrait de la désignation de Karim Achoui comme avocat de Rachid Zahoum.

Lena Zahoum indique également à BuzzFeed que « Karim Achoui (lui) a alors demandé 20 000 euros en (lui) disant que c’était une caution à payer pour faire sortir (son) frère. » Karim Achoui serait alors, selon ses propos, « subitement revenu sur sa décision en disant que finalement, il ne faisait plus confiance à l’avocat local et qu’il allait trouver une autre solution », continue-t-elle. Pour défendre Lena Zahoum, incarcéré en Thailande à Pattaya pour trafic de cartes bleues, Karim Achoui a dû trouver un intermédiaire, explique-t-il. « J’ai indiqué à la cliente que je devrais travailler, sur place, en collaboration avec un cabinet local, les avocats étrangers ne pouvant généralement pas plaider en Thaïlande, résume-t-il. Ce sur quoi la cliente s’est accordée avec moi. » Karim Achoui raconte : « Nous avons approché un premier correspondant thaïlandais, seulement j’ai décidé rapidement d’en changer, et la cliente m’a suivie. J’ai donc signé un contrat avec le cabinet Harvey et collaboré avec lui. » Ce dernier a donc facturé ses prestations 3 200 euros à la cliente. « Et j’ai, moi, demandé 4 000 euros d’honoraires pour deux voyages en Thaïlande, des visites au client, un dépôt de demande de mise en liberté sous caution et pour m’être porté « bail man » (se porter « bail man » engage à demeurer dans le pays, en cas de libération sous caution, jusqu’au jugement de la personne libérée sous caution et à confier, aux autorités, son passeport en attendant la clôture de l’affaire, ndlr). « La cliente m’avait transmis 20 000 euros pour déposer une caution. Or, la caution a été refusée, j’ai donc rendu la caution à la cliente en déduisant les frais qu’avaient occasionné mes deux voyages en Thaïlande, les honoraires du cabinet Harvey et les miens », indique l’avocat, qui estime que « c’est la procédure normale. »

Concernant la TVA, facturée au taux français et non algérien, comme le dénonce BuzzFeed, Me Achoui précise que « l’affaire est une affaire française » et que celle-ci a été « réglée en France, en euros. » « Je suis français autant qu’algérien, il était donc justifié d’indiquer une TVA française », résume Karim Achoui, qui précise : « Pour mes affaires en Algérie, je ne manque pas de facturer la TVA algérienne. » Le juriste estime que le témoignage anonyme du bâtonnier à BuzzFeed est dû à un « rejet de (sa) personne. »

Mais pourquoi Karim Achoui n’a pas livré ces documents à BuzzFeed ?

Nous avons été étonnés de remarquer que Karim Achoui avait, en sa possession, tous les éléments discréditant les thèses de BuzzFeed. Alors, pourquoi l’avocat n’a-t-il simplement pas décidé de les livrer aux journalistes du sites ? « M. Perrotin est entré en contact avec moi dans le cadre de son enquête, dans le but de faire un papier clairement à charge contre moi », résume Me Achoui, qui estime que le journaliste « n’entrait pas en contact avec (lui) au cours de son enquête afin de confronter des positions et points de vue et d’en faire éclore la vérité, mais plutôt qu’il le faisait par pure forme, par principe, à l’issue d’une enquête déjà constituée, excluant tout à fait (son) point de vue et (sa) version des choses et dans le but de (le) charger. » Karim Achoui contre-attaque : « M. Perrotin m’a interrogé en partant du principe qu’il détenait la vérité et cherchait à me piéger. Je n’appelle pas cela une enquête sérieuse, mais une opération de lynchage et de stigmatisation, une opération de buzz et non de l’information. » Et l’avocat de s’interroger : « Comment répondre à un juge qui vous a condamné avant même d’avoir entendu votre version ? »

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