Sous l’appellation “Nation et religion : l’expérience marocaine”, cette étude s’attache à fournir des repères pour mieux cerner, en termes d’acteurs, de valeur et de stratégies, la « spécificité » marocaine dans la construction et la pérennisation de son identité politico-religieuse. « Un souverain à la fois autorité temporelle et spirituelle, une orientation religieuse qui cherche à promouvoir la voie de la modération, une volonté de s’imposer non pas comme un modèle mais comme une voix alternative, sont autant de caractéristiques qui justifient qu’on l’analyse en détails ». La publication décortique ainsi les préceptes de ce modèle singulier de politique religieuse et met en évidence les capacités du régime à imposer une formule durable.
Selon le document, l’islam au Maroc est composé d’une école juridique malékite issue de l’orthodoxie sunnite, d’une école théologique acharite qui s’interroge sur la justice divine, la liberté humaine ou encore la nature du Coran, et d’une école de fraternité, le soufisme, branche spirituelle de l’islam. Selon l’étude, il apparaît que ces trois composantes du socle religieux, posées depuis la naissance de l’Etat marocain, ont permis au royaume de se forger « un socle doctrinal solide, à la lecture mesurée et islamiquement orthodoxe ».
Conjuguer le spirituel et le temporel
À ce tryptique caractéristique du Maroc s’ajoute la question cruciale de la monarchie. A la fois roi et commandeur des croyants, il apparaît que Mohammed VI constitue la clé de voûte de la réussite de la politique religieuse nationale. En effet, la commanderie, consacrée dans la Constitution du Maroc, implique que le roi, chef de l’Etat, est également la plus haute autorité sur plan religieux, garant du respect des principes et normes de l’islam sur le territoire et au-delà même des frontières du royaume. Ainsi, l’exception marocaine réside également dans cette double compétence détenue par le roi, qui permet d’unifier et concilier les deux sphères sans qu’elles ne se fassent concurrence.
Enfin, au-delà de l’exception monarchique et du triptyque religieux marocain, le leadership du roi Mohammed VI a sur faire émerger une approche particulière de l’islam dans la région qui échappe aux étiquettes idéologiques classiques. La particularité marocaine réside résolument dans sa conception de la religion : entre rigorisme et libéralisme, entre tradition et modernité, l’islam marocain s’attache à rechercher perpétuellement l’équilibre à travers une approche orthodoxe en adéquation avec les évolutions du contexte.
Modérer les excès
Qualifié à juste titre d’« islam du juste milieu », cette conception est diffusée de manière homogène sur l’ensemble du territoire. La Rabita Mohammadia des Oulémas, créée en 2006 par décret royal, a la charge de définir, justement, la doctrine et le cadre juridique et théologique selon une lecture mesurée des textes. L’institut Mohammed VI pour la formation des imams, que le pape François a visité lors de sa venue au Maroc en mars 2019, forme de fait des centaines d’oulémas et d’imams de différents pays comme la France, le Mali, la Tunisie, le Sénégal, la Guinée, le Gabon, le Niger et même désormais la Thaïlande, premier pays d’Asie à se joindre au programme.
D’autre part, si l’on assiste aujourd’hui à une islamisation de la société et du politique en Afrique du nord et de l’ouest, force est de constater que le cas du Maroc demeure encore une fois, singulier dans la région. Ce statut n’a pu être maintenu que par la réussite des chantiers entamés depuis quelques décennies visant à répondre aux défis de l’islam contemporain. Le Maroc a initié de nombreux programmes et initiatives visant à prévenir la propagation des idées radicales sur son sol. Aussi, à travers un encadrement strict des mouvements et associations islamistes qui se sont substitués à l’Etat sur certaines questions sociales, le Maroc reprend aujourd’hui la main sur ces thématiques jusque-là laissées aux islamistes. Le programme Tayssir, destiné à lutter contre l’abandon scolaire notamment en milieu rural, témoigne de cette dynamique.
D’autre part le parti islamiste Justice et Développement (PJD), arrivé en tête des législatives de 2011 et de 2017 s’est engagé depuis son accès au pouvoir dans la « voie pragmatique d’une certaine sécularisation ». Pourtant, jusqu’en 2003, le parti affirmait publiquement son intention d’islamiser la société et d’appliquer la loi islamique dans le pays. Depuis les attentats de Casablanca, le PJD change de discours et se définit aujourd’hui comme un parti politique non religieux et séculier mais à référence islamique, et reconnaît par ailleurs la Commanderie. De manière générale, le royaume s’est lancé dans un processus de sécularisation de ses structures.
Sécuriser et prévenir
Enfin, s’il faut citer les succès du Maroc en termes de politique religieuse, la lutte contre le terrorisme ne saurait être mise de côté. Engagé sur le volet sécuritaire, le royaume chérifien s’est doté d’un service de sécurité parmi les plus performants au monde dans la lutte contre le terrorisme. Aucun attentat ne s’est produit sur le territoire marocain depuis 2011. Toutefois, le rapport souligne que les attentats ont mis en lumière la problématique de l’éducation qui joue un rôle capital dans la prévention de la radicalisation de la société. Le programme Musalaha (réconciliation) mis en place en 2017 dans les prisons vise la déradicalisation des détenus impliqués dans les affaires d’extrémisme et de terrorisme.
Terre de contrastes, carrefour des civilisations, le royaume remplit ainsi pour l’Institut son rôle de stabilisateur religieux dans la région depuis des siècles. S’il est confronté depuis quelques décennies comme partout ailleurs aux problématiques contemporaines liées à l’islam tel que la montée des extrémismes religieux et du terrorisme, le Maroc devra maintenir son leadership et continuer de servir de rempart aux radicalismes religieux en servant de modèle aux autres nations. Le modèle marocain de politique religieuse a fait d’ailleurs ses preuves dans plusieurs pays africains comme la Mauritanie ou le Sénégal où les imams prônent un discours de fraternité anti-haine, réduisant ainsi les risques de conflits et de guerre.