La semaine passée, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a annoncé la création de ce qu’il appelle une « instance informelle de dialogue et de concorde. » Celle-ci réunira, comme il l’explique, les responsables des cultes chrétien, juif et musulman. Le ministre a d’ores et déjà envoyé aux préfets du pays une « feuille de route » dans laquelle il explique ses objectifs. Parmi ceux-ci, Gérard Collomb affirme vouloir encourager « toutes les initiatives qui visent à inscrire les religions dans le cadre républicain », indique La Croix qui a eu accès au document. Une initiative de dialogue qui viendrait, ajoute le quotidien, « en complément des cadres bilatéraux de relations avec les représentants des cultes. » Et donc, parmi les propositions contenues dans cette feuille de route, « l’installation d’une nouvelle instance informelle interconfessionnelle » en décembre prochain.

Une instance sans statut officiel

Mais est-ce légal et cette « instance informelle » peut-elle entrer dans le cadre de la loi de 1905 qui indique que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » ? Si le groupe de dialogue et de concorde avait eu un statut officiel, cela aurait forcément posé problème. On se souvient que, en 2012, le maire socialiste de Cergy, Philippe Doucet, avait dû renoncer à son Conseil des cultes après que le tribunal administratif avait acté l’abrogation de la délibération de la commune à ce sujet. Mais le ministre de l’Intérieur a trouvé la parade : d’après un de ses proches, l’instance « n’a pas vocation à avoir un statut officiel. » En bref, si l’instance est informelle, dans une volonté de dialogue avec tous les cultes qui le souhaitent, sans qu’il n’y ait de préférence marquée directement par les pouvoirs publics ni de voix contraignante donnée à cette instance, rien ne contrevient à la loi de 1905.

Ce que confirme l’avocat Asif Arif, auteur spécialisé sur les questions d’Islam et de laïcité. « Juridiquement, la loi de 1905 impose l’incompétence de l’Etat dans la gestion des cultes », explique-t-il. Mais pour l’avocat, au-delà de l’aspect légal d’une telle instance, c’est la méthode qui étonne. Car ce groupe de dialogue a forcément pour objectif de continuer le travail du prédécesseur de Gérard Collomb qui avait, en son temps, initié trois « instances de dialogue avec l’Islam. » « Les travaux visant à accompagner la structuration d’un Islam de France seront poursuivis », indique d’ailleurs la feuille de route du ministre. Or, pour Asif Arif, il s’agit là d’une mauvaise idée. « Ce n’est pas à l’Etat de faire ce travail-là, indique l’avocat. Ce mouvement devrait venir des musulmans eux-mêmes. » Car d’ores et déjà, l’instance proposée par le ministère de l’Intérieur est vouée à l’échec. « Tout ce qui a été mis en place a échoué, on répète l’histoire », se désole Asif Arif. Le CFCM et la Fondation de l’Islam de France en sont les preuves les plus récentes.

« Ce sont les musulmans qui devraient choisir leur représentants »

Alors, que faire pour que cela fonctionne enfin ? Car le constat est sans appel : « On n’arrive pas à ce que l’on veut, c’est-à-dire le renouvellement de ceux qui peuvent parler au nom des musulmans », explique Asif Arif. L’avocat propose de son côté une « refonte par la base » car, dit-il, « ce sont les musulmans qui devraient choisir leur représentants. » Or, aujourd’hui, l’Etat veut s’appuyer sur des modèles qui ont fonctionné pour d’autres religions, comme celui du Consistoire pour les juifs ou de l’Eglise catholique. Mais l’époque a changé. « Personne n’a trouvé la bonne méthode », admet Asif Arif. Mais en imposant ces différentes initiatives, le ministère de l’Intérieur creuse encore un peu plus le fossé entre l’Etat et les Français musulmans, qui se verraient bien être mis à contribution. Mais pour ce faire, le ministère de l’Intérieur devrait se tourner vers la base : les fédérations et les mosquées regorgent de potentiels porte-paroles du culte musulman qui ne se reconnaissent pas dans les instances mises en place par l’Etat et qui ne demandent qu’à être entendus.