« Parents noirs, arabes et musulmans, parents habitant les quartiers populaires, êtes-vous sereins quand vous confiez vos enfants à l’école le matin ? »

C’est la question posée dans une tribune en 2017, par Fatima Ouassak, consultante en politique publique et Diariatou Kebe, blogueuse et auteure du livre Maman noire et invisible (Ed la Boite à Pandore). 

Les deux femmes sont à l’origine de « Front de mères », une association crée fin 2016 et née de l’expérience de ces mamans, très vite confrontées au racisme dans le milieu scolaire avec leurs enfants. 

« Cela fait longtemps que je travaille sur les discriminations, mais je ne m’attendais pas à ce que cela se manifeste aussi tôt. Déjà à la crèche, on exigeait que ma fille attache ses cheveux frisés, des cheveux dit « indisciplinés », et pas aux autres petites filles aux cheveux lisses », témoigne Fatima Ouassak. 

Elle se voit également reprise par le personnel alors qu’elle parle arabe à sa fille. On lui reproche de perturber son enfant dans l’apprentissage du français. 

« La transmission de la langue, de la culture et de la religion, participent à la confiance en soi »

« En réalité, c’est la stigmatisation des langues maternelles qui perturbe les élèves. Chez les enfants dont les parents sont issus de l’immigration, les troubles du langage sont souvent liés à ce phénomène. La transmission de la langue mais aussi de la culture et de la religion, participent à la confiance en soi », souligne la politologue et militante. 

A l’époque, Fatima Ouassak fait entendre ses arguments à la direction de la crèche, qui se montre plutôt ouverte. Les parents enregistrent alors un CD avec des chansons en arabe, peul et autres langues, pour les diffuser aux enfants pendant la sieste. 

Une petite victoire pour la jeune maman, qui entend bien les multiplier avec Front de mères, un collectif qui se veut constructif.

« Nous sommes sans pitié sur l’analyse du système scolaire. Mais le collectif ne souhaite pas seulement dénoncer. Il veut surtout proposer des pistes de solutions », précise t’elle. 

Cantines, dangers du numérique… des mobilisations diverses

Pour Fatima Ouassak, Front de mères n’est pas « juste une petite association ». 

« Il existe des collectifs de parents dans les quartiers mais ils ne sont jamais politisés ». 

Le collectif Front de mères, lui, a pour vocation de devenir un réel syndicat, qui aborderait tous les sujets, sans tabou. 

« Les grosses structures de parents d’élèves ne traitent malheureusement pas des questions de racisme, d’islamophobie à l’école », déplore t-elle. 

Mais les problématiques abordées par Front de mères sont larges. A Bagnolet par exemple, Fatima Ouassak, constatant la surconsommation de viande à la cantine, s’est mobilisée avec d’autres mamans pour une alternative végétarienne. A l’époque, elle est accusée de vouloir secrètement imposer le halal à la cantine. 

Elle soumet alors aux parents un sondage, où 96% s’avèrent pour un menu végétarien dans la restauration scolaire, puis organise des ateliers sur l’alimentation, invite l’association L214… Plusieurs actions qui ont fini par porter leurs fruits. La mairie a décidé, dès la rentrée prochaine, de mettre en place une alternative végétarienne. 

Un des premiers ateliers de réflexion de Front de Mères portait également sur les dangers liés à l’utilisation excessive des tablettes et téléphones portables par les enfants. 

« On constate une surconsommation des écrans, encore plus importante chez les jeunes des quartiers populaires. Nous avons organisé des rencontres avec la mairie, la PMI. Il faut en faire une question de santé publique ! », alarme Fatima Ouassak. 

Des collectifs inspirés par Front de mères à Bordeaux, Marseille, Toulouse…

L’idée de Front de mères, c’est aussi de concilier réussite scolaire et dignité. Un dilemme fréquent chez les parents dans le déni des discriminations et qui pensent que la réussite n’est possible qu’en changeant leur enfant d’école et de quartier, explique Fatima Ouassak. 

« Qu’elle soit caissière ou ministre, téléconseillère ou avocate, notre fille subira le racisme. Qu’il soit chômeur ou chirurgien, livreur ou ingénieur, notre fils subira le racisme. A quoi sert d’élever notre fille comme une reine, si la société dans laquelle elle grandit considère les personnes qui lui ressemblent comme des êtres inférieurs ? », interroge la politologue dans son « Appel ». 

Ainsi, le collectif a adopté deux mots d’ordre, trop souvent dissociés : égalité et qualité. « L’égalité ne doit pas être synonyme de nivellement par le bas. Il faut repenser les projets pédagogiques et tirer l’éducation des enfants vers le haut. » 

Une ambition qui va pour Fatima Ouassak, bien au-delà du 93 et des banlieues de la région parisienne. Mais son « appel » semble avoir déjà trouvé échos. Après des  premiers Etats généraux l’année dernière, plusieurs collectifs locaux ont vu le jour. A Bordeaux, Toulouse, Marseille, Limoges ou encore Roubaix, des « mères » montent au front…