En 2014, les Emirats ont approché Marine le Pen pour financer sa campagne présidentielle. Mais ces dernières années, leur influence s’étendrait plus largement au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, pour se faire des alliés contre le Qatar.

Rien ne pouvait laisser penser à un rapprochement entre le Qatar et le Front National. Et pourtant Abou Dabi a tenté une première approche plutôt fructueuse. Comme le révélait le site Intelligence Online en février 2016, Marine Le Pen a reçu en 2014, dans sa résidence privée située à Saint-Cloud, un agent des services émiriens. Une entrevue que la femme politique n’a jamais démentie. 

L’émissaire émirien souhaitait aider financièrement le Front National 

Lors de cette rencontre, l’un des participants, l’ex-conseiller en affaires internationales de la patronne du Front National Aymeric Chauprade, a déclaré que l’émissaire émirien souhaitait « aider le Front National. » « Cela signifie que les Emirats pouvaient apporter de l’argent pour le financement de la campagne présidentielle de 2017 », a t-il expliqué. Des propos rapportés dans le livre « Marine est au courant de tout… », paru en juillet dernier et documenté par les journalistes Marine Turchi et Mathias Destal. Finalement, la signature d’un accord de prêt sera annulé, à cause de « pressions émanant de l’Etat français », rapporte le livre. 

« La France doit rompre ses relations avec le Qatar et l’Arabie Saoudite qui financent les fondamentalistes islamistes »

Mais Marine le Pen continuera d’entretenir des relations étroites avec les Emirats, notamment lors de son voyage en Egypte en mai 2015, financé entièrement par des fonds émiriens. Elle y rencontrera grâce à Abou Dabi, des hauts représentants politiques égyptiens. Marine le Pen ne niera pas non plus la provenance des financements de son séjour. Florian Philippot finira même par déclarer que « cela ne serait pas du tout un problème parce que ce n’est pas du tout le même pays (que le Qatar). »

Par la suite, Marine le Pen ne cessera de soutenir son nouvel allié, notamment sur l’antenne arabophone de France 24. « La France doit rompre ses relations avec le Qatar et l’Arabie Saoudite qui ont aidé, financé et assisté les fondamentalistes islamistes. Il faut s’appuyer sur les pays qui luttent contre le fondamentalisme dans le monde. Je pense aux Emirats Arabes Unis, à l’Egypte », déclarait-elle sur le plateau en septembre 2014. Le FN dénonçait également la complicité des gouvernements de Nicolas Sarkozy et François Hollande avec le Qatar.

Un « Qatar bashing » étendu dans le monde anglophone 

Mais les actions de lobbying contre le Qatar se mènent aussi aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne depuis 2013. Les Émirats arabes unis ont fait appel à une entreprise de relations publiques, Camstoll Group. Pour un montant de 400 000 dollars par mois, celle-ci « informait » journalistes et parlementaires américains à propos du rôle que jouerait le Qatar dans le financement des groupes terroristes dont le Front al-Nosra, réputé proche d’al-Qaida, en Syrie.

Le site d’information et d’enquête en ligne The Intercept a rappelé que les Emirats arabes unis ont été, en 2013, en tête de liste des dépenses de lobbying consenties par un pays étranger aux États-Unis (14 millions de dollars). Ainsi, les Emirats ont pu faire passer leurs principaux messages parmi lesquels le Qatar financerait les groupes terroristes en Syrie, en Irak et en Libye. Plusieurs médias comme CNN ou le Washington Post en ont été les relais, en réalisant des dossiers et enquêtes contre ce pays du Golfe. 

Plus récemment, une société embauchée par les Emirats Arabes Unis et proche de Steve Bannon, fervent militant de la suprématie blanche et ancien directeur de campagne de Trump, également lancé une campagne anti-Qatar. Selon le site Alaraby, la société SCL Social Limited disposait d’un budget de 75 000 $ pour diffuser des publicités anti-Qatar aux organisations non gouvernementales, aux diplomates étrangers, aux journalistes et sur Facebook, Twitter, Google et YouTube. 

Une bataille contre les Frères musulmans

Les Emirats reprochent également au Qatar leur soutien aux Frères Musulmans et l’accueil de certains activistes sur leur territoire. Ainsi, une enquête révèle qu’en Grande-Bretagne, les Emirats se sont payés les services de la société de relations publiques « Quiller Consultants » pour environ 80 000 euros par mois pendant six ans. La société devait, comme aux Etats-Unis, convaincre les conseillers du chef de l’exécutif, les journalistes et les intellectuels, que les Frères Musulmans étaient une organisation terroriste liée au Qatar. Elle devait également les inciter à promouvoir l’image des Emirats et leur politique étrangère. 

Parmi les titres de presse impliqués dans le lobbying émirien, le quotidien The Telegraph. Un article de The Middle East Eye rapportait en 2015, la campagne menée par le journal contre le Qatar dans une série d’articles intitulée « Stop the Funding of Terror » (« Mettons fin au financement de la terreur »). Durant deux mois, le journal avait publié 34 articles dont 8 de une et 4 éditoriaux, contenant des accusations selon lesquelles le Qatar serait intimement lié au financement de groupes terroristes, notamment l’Etat islamique. Le journal publiera même un article intitulé « The Club Med for terrorists » à propos du Qatar.

Dans le même temps les milliardaires Barclay, propriétaires du Telegraph, étaient engagés dans une bataille contre le Qatar pour le contrôle de trois hôtels 5 étoiles à Londres. Un Qatar bashing qui n’était pas dû au hasard…

Les Emirats imposent leur vision de « l’islam modéré » et disqualifient le reste

Récemment, the Middle East Monitor a également révélé des fuites de mails échangés entre l’Ambassadeur des Emirats Arabes Unis aux Etats-Unis, Yousef Al-Otaiba et ses associés. 

Ceux-ci montrent clairement que les Emirats font la promotion de ce qu’ils considèrent comme un islam «modéré», tout en dirigeant les officiels américains vers des personnes condamnant les Frères musulmans. Les Emirats s’assurent pour cela du soutien de leurs « experts » dans la lutte contre l’extrémisme. 

Deux auteurs sont par exemple devenus les protégés de l’ambassadeur des Emirats et apparaissent souvent dans les mails. Il s’agit de Lorenzo Vidino, italien expert en politique étrangère et détenant la citoyenneté américaine. Celui-ci est connu pour être très critique envers les mouvements islamistes, qu’il considère comme un tremplin vers la radicalisation. Il a rédigé un document intitulé « Le rôle des islamistes non-violents en Europe » et un livre sur « La nouvelle fraternité musulmane en Occident ». Son collègue, Mokhtar Awad, chercheur participant au programme sur l’extrémisme à l’Université George Washington, a également beaucoup écrit sur la transition de l’islamisme à l’extrémisme violent, en particulier en ce qui concerne les Frères musulmans en Égypte. 

Parmi les mails échangés, un courrier électronique daté du 23 mai 2017, montre une conversation entre Yousef Al-Otaiba et Mokhtar Awad. L’ambassadeur y  exprime son souhait d’organiser un dîner interreligieux pendant le mois sacré du Ramadan, et demande au chercheur d’inviter des érudits islamiques. Mais il spécifie la nécessité d’avoir ceux « qui sont propres et ont été examinés ». 

Les nombreux autres mails révèlent donc l’image des Frères musulmans que les Emirats souhaitent promouvoir et imposer aux Etats-Unis. Ils mettent aussi à jour le désir des Emirats de propager en Occident leur  propre version d’un « islam acceptable ». Une façon de maintenir leurs ambitions en matière de politique intérieure et étrangère, comme le rappelle The Intercept

« Le propos ici n’est pas de savoir si le Qatar soutient ou non les extrémistes. Mais il s’agit de pointer du doigt cette attaque médiatique cordonnée et financée contre le Qatar. Elle est utilisée comme une arme par les Emirats mais aussi Israël et l’Arabie Saoudite, pour leurs propres intérêts ».

La définition de l’islamisme telle qu’adoptée par les Émirats Arabes Unis est celle des personnes ou organisations pouvant inspirer une opposition au régime à l’intérieur même du pays ainsi que des réseaux de solidarité internationale qui pourraient leur être bénéfiques. La paranoïa du régime émirati est devenue publique avec la série de révolutions dans le monde arabe qui a jusqu’à présent épargné le pays. Les alliances avec les extrêmes droites occidentales et les sommes dépensées témoignent d’un jusqu’au boutisme qui est déjà en train de déstabiliser la péninsule arabique avec le blocus du Qatar. Les critiques de ce jusqu’au boutisme se sont fait entendre depuis les États-Unis où des organisations islamiques, telles que CAIR ont dénoncé le soutien des émirats aux organisations islamophobes de tout bord. Mais au delà de ces alliances de circonstance, il reviendra aux gouvernements occidentaux de décider si « l’ami » émirati, bailleur de fond des organisations néo-fascistes et néo-nazies, ne représente pas lui même un danger pour la sécurité intérieure.