Dominique Natanson est coprésident de l’Union juive pour la paix en France. Créée il y a plus de vingt ans, cette association milite contre le racisme et pour le boycott d’Israël. Il nous explique les actions de l’UJFP.

LeMuslimPost : Comment est née l’Union juive française pour la paix ?

Dominique Natanson :  En, 1994, l’UJFP se crée sur la base du conflit israélo-palestinien, comme on le nommait à l’époque. Bien que le mot « conflit » ne soit pas approprié, on est dans une occupation, dans un système d’apartheid, dans un phénomène colonial, on est plus réellement dans un conflit. Nous sommes plus dans une situation d’oppression coloniale qui crée une situation d’inégalités incroyable. Entre des Palestiniens soumis à l’injustice militaire et « une des plus grandes démocraties du monde », dit Israël, le contraste est absolument incroyable. L’UJFP a connu un développement en particulier au moment des différentes agressions israéliennes, nous ne prétendons pas représenter tous les juifs de France, il y a une diversité parmi les juifs qui est aussi considérable qu’entre tous les Français. Nous sommes une organisation qui s’est créée principalement sur la question palestinienne. Assez vite, nous sommes entrés dans la campagne BDS, et nous participons à des actions de boycott de sanctions, des interventions sur les questions de compréhension de ce qui se passe en Palestine dans les quartiers populaires. Dans ces actions en France, on a été amenés à rencontrer des gens qui se battaient contre le racisme en France. Cela paraissait assez difficile de se battre contre le racisme et l’apartheid en Palestine et de ne pas intervenir aux côtés des gens avec qui on se bat sur ces questions palestiniennes en France même. Nous avons fait un pas important sur la question de l’antiracisme politique et décolonial, car il fallait que la logique que l’on applique en Palestine, c’est-à-dire la logique de justice et d’égalités des droits s’applique aussi à nos camarades de luttes dans les quartiers populaires et dans les régions.

« Le CRIF isole les juifs de la société Française pour les faire partir »

Sur des questions comme les violences policières ou le racisme, on a été amenés à intervenir de plus en plus. Récemment nous avons publié « Une parole juive contre le racisme » dans lequel on développe l’idée qu’il s’agit de se battre ensemble contre le racisme et non pas contre le racisme et l’antisémitisme, alors qu’on essaye de nous imposer cette formule qui nous parait assez discutable dans la mesure où elle hiérarchise le racisme. Nous pensons au contraire que dans la situation actuelle, bien qu’il y ait encore de l’antisémitisme, les juifs ne sont plus la cible principale dans la société française du racisme. Ce qui se développe aujourd’hui, c’est avant tout l’islamophobie, la négrophobie, le racisme anti-asiatiques, le racisme contre les Roms. C’est dans ce contexte là que nous voulons contribuer à notre modeste place car nous sommes une petite association, parce que nous ne sommes pas les principales victimes du racisme. Les juifs sont peu victimes de discrimination, de violences policières. Nous avons une position qui est en soutien à un mouvement antiraciste de type nouveau et non pas un antiracisme moral des grandes organisations du passé, mais qui partent des racisés eux-mêmes.

« La majorité des juifs français est peut-être sioniste mais a plus de mal qu’autrefois à le dire. Netanyahu a mené Israel dans une impasse »

Quelles sont les actions de l’UJFP ?

Les actions de l’UJFP se font souvent dans un cadre collectif, mais on essaie d’y apporter une voix spécifique, car il existe plusieurs points de vue chez les juifs. Certains ont soit une parole distincte de celle du CRIF, d’autres sont inconditionnels d’Israël quels que soit les crimes que commet le gouvernement israélien. Cette distanciation et cette différenciation, elle joue un rôle important. L’histoire des juifs est douloureuse, on ne reste pas focalisé sur elle, mais on essaye plutôt de l’ouvrir sur des luttes antiracistes et d’émancipation d’aujourd’hui. C’est le reproche qu’on fait à un certain nombre de gens qui, à partir de la Shoah, seraient sur la position « pourvu que cela ne nous arrive plus », alors que la nôtre est plutôt « pourvu que cela n’arrive plus à personne. » A cet égard-là, on reprend des traditions anciennes du mouvement juif d’émancipation et de contestation qui étaient souvent des mouvements antisionistes. Je pense au Bund polonais de l’entre-deux guerres qui, après la déclaration Balfour, se bat becs et ongles contre les sionistes. La grande majorité des juifs avant 1939 était antisioniste, on est dans cette tradition de contestation sociale et de solidarité avec d’autres groupes ou mouvements.Les 3 millions de juifs en Pologne n’étaient, pour la plupart, pas sionistes. Pour preuve, aux élections de 1922, le Bund, qui était un mouvement antisioniste, a fait 82 % des voix. Ces gens ont été exterminés et ceci a permis aux sionistes de l’emporter. La politique actuelle sioniste en France consiste à isoler les juifs de la société française, pour les faire venir en Israël. Pour cela, on fait croire que vivre avec les autres n’est pas possible. Or, nous pensons que les juifs ont leur place dans la société française et dans les luttes sociales en France.

« Le philosémitisme de Valls a instrumentalisé les juifs contre les musulmans »

Quelles sont vos relations avec le CRIF, qui lui défend la politique sioniste ?

Nous sommes régulièrement attaqués par le CRIF, même quand nous écrivons un livre contre le racisme. Nous avons été victimes de la Ligue de Défense Juive (LDJ), nos dirigeants ont subi des attaques du hacker Ulcan qui s’était amusé à envoyer le RAID chez l’un des responsables de l’UJFP (Pierre Stambul, ndlr). Nous sommes parfois victimes d’agressions, le plus souvent verbales, mais nous prenons nos précautions. Mais en parallèle, nous avons des expériences formidables d’accueil dans les quartiers populaires, comme lors de mon intervention dans le quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie où les gens venaient faire des selfies avec nous dans une superbe atmosphère. En tant que juifs, nous sommes vraiment accueillis de manière extraordinaire.

La majorité des juifs français est peut-être sioniste mais a plus de mal qu’autrefois à le dire. Dans ma propre famille, lorsque j’abordais la question palestinienne, on me sautait dessus. Aujourd’hui, les juifs de gauche pro-israéliens sont gênés par l’impasse dans laquelle Netanyahu et sa politique mènent Israël. Ils mettront du temps à sortir de cet espèce de soutien inconditionnel quasi Stalinien, comme les communistes soutenant l’URSS, même quand on leur apportait des preuves.

Les critiques existent de la part de gens qui sont plutôt réputés sionistes, comme aux Etats-Unis, qui étaient réputés pour être le pays du lobby sioniste. Maintenant, des manifestations de milliers de juifs contre l’occupation et contre l’AIPAC (le lobby israélien aux USA, ndlr) sont organisées.

En France, on constate une instrumentalisation de la part des gouvernements récents, de Manuel Valls à Macron. Montrer en exemple la communauté juive comme le faisait Valls dans un philosémitisme qui a l’air d’être sympathique pour les juifs, en fait, c’est une manière d’instrumentaliser les juifs pour montrer qu’il y a des catégories assimilables et d’autres qui ne le seraient pas, en particulier les musulmans. Ce philosémitisme d’Etat est dangereux, car il met à l’écart les juifs soi-disant pour de bonnes intentions, alors qu’en réalité les mettre à l’écart, c’est les mettre en danger.

L’invitation de Netanyahu par Emmanuel Macron est une manière de dire que les juifs sont à part de la société française et qu’ils devraient être représentés par un chef d’Etat étranger, ce qui est extrêmement curieux et très dangereux. L’ensemble des juifs doivent être sionistes car, selon Macron, l’antisionisme est une forme d’antisémitisme, on assimile la totalité d’une population à une idéologie politique qui est par ailleurs nationaliste et colonialiste.

Dans la société française, on n’ignore pas ce qui s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale. Du coup, la solidarité des musulmans avec les palestiniens, qui est noble et basée sur l’idée de justice et d’égalité des droits, est assimilée à de l’antisémitisme. Et ça, c’est insupportable ! Les musulmans que nous rencontrons dans les luttes sociales sont très sensibles à la question de l’antisémitisme et ne supportent pas l’assimilation que l’ont fait de leur position politique à de l’antisémitisme.

On entend de plus en plus parler d’un antisémitisme qui serait spécifique aux musulmans…

Cette instrumentalisation de l’antisémitisme a deux objectifs : le premier est, pour Netanyahu, de faire venir les juifs de France en Israël pour des raisons démographiques, car le projet sioniste ne peut pas tenir s’il n’est pas alimenté continuellement démographiquement. Le deuxième est de s’en servir pour disqualifier la lutte antiraciste et anti-islamophobie. Il y aurait, d’un côté, une lutte antiraciste noble qui serait la lutte contre l’antisémitisme et, de l’autre, l’islamophobie n’existerait même pas. Le CRIF, qui ne représente que partiellement les juifs de France, est un gardien du sionisme en France et se tait par exemple sur la question des migrants.

« Il est plus difficile pour un musulman de mener des actions que pour un militant juif »

Est-il plus simple de critiquer la politique israélienne en tant que juif ?

On a un de nos militants qui est passé en procès à Metz pour avoir participé à une action de BDS, mais la plupart du temps, les autorités ont un peu plus de mal à faire passer en justice des militants juifs en les accusant d’antisémitisme. Michèle Sibony est intervenue au procès de Georges Bensoussan qui avait expliqué que « dans les familles arabes en France (…) l’antisémitisme on le tète avec le lait de sa mère », et il avait d’ailleurs été acquitté. Nous intervenons dans ces situations-là, et la présence de militants juifs dans BDS oblige parfois les autorités à être plus vigilantes. Il y a un combat et nous faisons partie de ce combat. Mais il est vrai qu’il est plus difficile pour un musulman de mener des actions que pour un militant juif qui est, d’une certaine manière, un peu protégé par le philosémitisme d’Etat.

On sent une volonté d’incriminer de plus en plus BDS, nous sommes l’un des seuls Etats où BDS est dans le collimateur des autorités, alors que dans d’autres pays comme l’Espagne par exemple où des villes entières se déclarent BDS.

Bientôt, la cour européenne va statuer sur la légalité du boycott. Quel est votre état d’esprit ?

Même si elle statuait de manière négative, il n’y a pour l’instant aucune loi qui interdit le boycott. On sait que le boycott est une arme importante car elle est pacifique et c’est une arme de la liberté d’expression, et on la défendra aux côtés de nos camarades.