Internet est « le premier lieu d’expression de la haine aujourd’hui », selon l’auteure de la proposition, la députée de Paris (issue de la majorité présidentielle) Laetitia Avia. Or « l’impunité règne » après menaces de mort, injures, propos racistes, antisémites, homophobes…

« Peu de plaintes sont déposées, peu d’enquêtes aboutissent, peu de condamnations sont prononcées », constate cette avocate, elle-même victime d’un « torrent de haine » pour « le seul fait d’être noire ».

« On pose des briques pour une régulation, mais ça prendra du temps », avertit le secrétaire d’Etat français au Numérique Cédric O, soulignant dans une interview au journal 20 Minutes lundi qu' »aucun pays dans le monde n’a encore résolu le problème ».

En première lecture jusqu’à jeudi soir, la proposition de loi sera mise au vote mardi 9 juillet.

Le gouvernement français s’inscrit dans un mouvement mondial de régulation, que même certains géants de l’internet comme Facebook appellent de leurs voeux.

L’Australie a adopté début avril une législation controversée instaurant des peines de prison pour les dirigeants de réseaux sociaux qui ne retireraient pas promptement les contenus extrémistes, et le Royaume-Uni a aussi annoncé son intention de légiférer pour s’assurer que les plateformes « assument leurs responsabilités ».

Le président français Emmanuel Macron est à l’origine, avec la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Arden, de « l’Appel de Christchurch » lancé mi-mai, par lequel une vingtaine de pays ainsi que les géants d’Internet tels Google et Twitter ont promis de lutter contre « les contenus en ligne terroristes ou extrémistes violents ».

Opinion versus délit

Complétant l’arsenal français, la proposition Avia est le fruit d’un travail depuis 2018 dans le cadre du plan gouvernemental contre le racisme et l’antisémitisme.

Elle reprend des préconisations d’un rapport coécrit avec l’enseignant franco-algérien Karim Amellal et le vice-président du Conseil représentatif des institutions juives (Crif) Gil Taïeb.

Mesure phare, sur le modèle d’une loi allemande de 2018: les plateformes et moteurs de recherche devront retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites en raison de la référence notamment à la race, la religion, le sexe, et encore le handicap. A la clé en cas de refus, une amende jusqu’à 1,25 million d’euros pour les plateformes.

Les députés français ont ajouté en commission la provocation au terrorisme et encore la pédopornographie parmi les contenus dont le retrait pourra être exigé.

Pour les utilisateurs, la proposition de loi prévoit aussi la mise en place d’un dispositif unique de signalement (« bouton unique »), commun à toutes les plateformes.

Celles-ci devront rendre compte publiquement des « actions et moyens » mis en oeuvre. Elles auront l’obligation d’informer « promptement » les autorités et devront avoir un représentant légal chargé de répondre aux réquisitions.

Prenant les devants, Facebook vient de s’engager à communiquer à la justice française les adresses IP des internautes aux propos haineux.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) veillera au respect du devoir de coopération des opérateurs, et pourra, en cas de manquement persistant, prononcer une sanction allant jusqu’à 4% du chiffre d’affaires annuel mondial.

La majorité LREM-MoDem soutient ardemment ce texte. A gauche comme à droite, tous les députés approuvent le combat contre la cyberhaine mais expriment réserves voire franche opposition aux modalités prévues.

Le parti Les Républicains (droite) – comme les élus socialistes, communistes, centristes – veut qu’il revienne au juge, et non aux algorithmes des plateformes, d’apprécier ce qui est illicite.

« Il faudra des moyens financiers et humains extrêmement importants, pour la justice, pour la police, pour l’éducation », alerte aussi le socialiste Hervé Saulignac.

La France Insoumise (LFI, gauche radicale) va plus loin, jugeant le dispositif « dangereux pour la liberté d’expression ». La « multiplication des motifs de blocage est une incitation au surblocage et une multiplication des possibilités de censure par une plateforme privée », alerte la députée Danièle Obono.