Le conseil théologique du CFCM vit-il ses dernières heures ? Selon nos sources, l’Elysée prépare actuellement sa réforme de l’Islam avec, dans les tuyaux du gouvernement, la création d’une future instance de gestion du culte musulman basée sur le modèle du Consistoire central israélite de France. Deux siècles après la création de cette dernière instance par Napoléon Bonaparte, Emmanuel Macron compte bien marquer l’histoire en calquant le modèle du prochain consistoire musulman sur celui du consistoire israélite.

Parmi les personnalités pressenties pour prendre une place importante dans la future institution, Tareq Oubrou. Là où la partie théologique du Consistoire est tenue par le Grand rabbin Haïm Korsia, Tareq Oubrou se voit déjà en Grand imam de France. L’imam bordelais s’est d’ailleurs mis en retrait de Musulmans de France, l’ex-UOIF, pour se mettre à la disposition de l’Elysée. Jusque là dans les petits papiers d’Alain Juppé, Tareq Oubrou pourrait devenir l’interlocuteur numéro 1 du Premier ministre, Edouard Philippe… juppéiste de la première heure. La boucle est bouclée.

Une idée impulsée par le Grand rabbin de France

Mais d’où vient cette idée de Consistoire musulman ? Déjà pendant la campagne, l’institut Montaigne faisait cette proposition au candidat Macron. L’institut de Hakim El Karoui, ancienne plume de Raffarin et conseiller de la dernière heure du dictateur tunisien lors des printemps arabes, proposait la création du poste de Grand imam de France, qui devait alors être élu par le board de la Fondation de l’Islam de France et ses représentants régionaux.

L’idée a visiblement fait son chemin. « Emmanuel Macron est entouré de deux personnes : Hakim El Karoui lui souffle à l’oreille droite, le Grand rabbin de France à l’oreille gauche », nous indique une source proche de l’Elysée. Sous l’impulsion d’Haïm Korsia, le président français aurait donc accéléré la mise en place de ce Grand imamat.

Pourtant, il y a un an et demi, l’islamologue Rachid Benzine prévenait l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron de la dangerosité d’une telle initiative et du fait de vouloir calquer l’organisation de l’Islam sur celle du judaïsme : « Il n’existe pas de ‘Grand archevêque de France’. Tout évêque est indépendant d’un autre », écrivait-il à l’équipe d’Emmanuel Macron avant de demander : « Comment l’Etat, aujourd’hui, pourrait-il imposer une telle institution et qui, parmi les musulmans, la demande et serait prêt à son émergence ? »

Un an après l’élection de Macron, la réponse est presque dans la question : devant la désorganisation complète des institutions musulmanes et alors que, sur le terrain, les musulmans du tissu associatif sont invisibilisés et sous-médiatisés, un boulevard s’offre au trio Macron-El Karoui-Korsia. Le Grand imamat, s’il n’est voulu par personne sur le terrain, pourrait bien voir le jour. Au grand dam du CFCM, qui avait créé un conseil théologique sous François Hollande pour répondre à cette question de la formation des imams. Deux ans plus tard, ce conseil risque de disparaître en cas de création d’un Grand imamat. « Ce serait terrible, nous confie un proche de l’instance musulmane. Les musulmans français ne doivent pas être représentés par un seul homme mais par un conseil qui réunirait toutes les sensibilités de l’Islam. »

L’Etat peut-il ignorer la diversité de la « communauté musulmane » ?

Côté politique, certains tentent déjà de prévenir qu’une telle initiative serait néfaste. La sénatrice Nathalie Goulet juge cette idée de Consistoire musulman « impossible » à mettre en œuvre. Et ce pour deux raison : « la première, c’est le poids des pays d’origine, Algérie, Maroc et Turquie. Les communautés musulmanes de France ne sont pas unifiées, et c’est d’ailleurs pour cela que le CFCM ne fonctionne pas. Vous ne pouvez pas organiser un consistoire avec des gens qui ne sont pas représentatifs », explique la sénatrice.

Pour le ministre Gérald Darmanin, en revanche, l’idée est intéressante. Dans son « Plaidoyer pour un islam français », l’ancien maire de Tourcoing proposait déjà il y a plusieurs mois le remplacement du CFCM en un « Grand Conseil de l’Islam de France » composé sur le modèle du Consistoire auquel seraient obligatoirement affiliées toutes les mosquées et auquel serait rattaché un « Grand imam », qui serait alors la « seule autorité théologique légitime. »

Les sénateurs, dans un rapport sorti il y a deux ans, voyaient déjà, dans le Conseil représentatif des musulmans de France et la Grande Mosquée de Paris, « la tentative d’un ‘consistoire musulman’ » et pensaient que l’Etat avait pris « conscience que la création de ce qui est perçu comme un ‘consistoire musulman’ ne peut ignorer la diversité de la ‘communauté musulmane’ qui s’exprime de plus en plus à travers le tissu associatif local. » Apparemment, ce n’est pas le cas.

Problème : après avoir placé Jean-Pierre Chevènement à la tête d’une Fondation de l’Islam de France — au grand dam des musulmans — déjà tombée dans l’immobilisme, une nouvelle fois, c’est dans les plus hautes instances de l’Etat que va se décider la création d’un Grand imamat, sans que les musulmans n’aient été consultés. Le politique veut imposer sa façon de voir le culte musulman à tous les musulmans. De quoi créer encore plus de confusion dans une communauté qui n’en avait vraiment pas besoin.