Le week-end a été mouvementé en Arabie saoudite où plusieurs princes, ministres et hommes d’affaires ont été arrêté dans le cadre des travaux de la commission anticorruption lancée par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman samedi. Si la rapidité de l’opération a étonné, selon Emmanuel Dupuy, président de l’IPSE (Institut Prospective et Sécurité en Europe) et spécialiste des questions de sécurité et de relations internationales, « la purge qui se déroule à Riyad ces dernières heures n’était pas, en réalité, une surprise, mais elle surprend néanmoins par son ampleur : 11 Princes, 4 ministres, 10 anciens ministres, dont plusieurs piliers du système sécuritaire arrêtés ou limogés. »

Le spécialiste des pays du Golfe est cependant étonné par le calendrier de cette opération, « alors que le Royaume saoudien fait face à une série de revers dans la région. » Parmi ces revers, la « sortie de crises syrienne et irakienne dont l’Arabie Saoudite sort affaiblie voire marginalisée ; l’offensive ‘iranienne’ dont la première victime est le Premier ministre libanais démissionnaire ces dernières heures, Saad Hariri, souvent présenté comme ‘l’homme » de Riyad’ ; la lassitude de la communauté internationale, ainsi que de certains de ses voisins du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), quant à l’enlisement de la terrible et cruelle guerre au Yémen », alors que pour la première fois, les rebelles Houthis, en tirant deux missiles sur l’aéroport de Riyad, ont démontré leur capacité de frapper directement le cœur du Royaume.

Des arrestations sous couvert de commission anticorruption

Toutes ces arrestations et évictions au sein de la maison Saoud confirment surtout « l’emprise sur tous les rouages du pouvoir du jeune prince héritier, Mohammed Ben Salman, 32 ans, alors que son père, l’actuel roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, 81 ans, ressort lui aussi éreinté par la crise engagée avec le Qatar depuis juin dernier », continue Emmanuel Dupuy qui précise que « le prince héritier, ministre de la Défense, semble ainsi particulièrement soucieux, depuis la chute de l’ancien vice-Premier ministre, Mohammed Ben Nayef — déchu de son statut de prince héritier en juin dernier — de faire place nette des caciques de l’ancienne ‘équipe’ mise en place par son prédécesseur. »

Et pour effectuer sa purge dans les règles, Mohammed Ben Salman s’appuie sur une commission anticorruption qu’il préside lui-même. « Cela lui donne ainsi une assise ‘institutionnelle’ bien commode pour se débarrasser de ceux qu’il considère comme de potentiels obstacles à son ascension sur le trône », continue le président de l’IPSE. Parmi les personnalités évincées, on retrouve le puissant et richissime prince Al Waleed bin Talal, le chef d’état-major de la Marine, Abdallah Al-Sultan, le redouté chef de la Garde nationale, Metab Ben Abdallah — longtemps considéré lui-même comme un prétendant au trône — ou encore le ministre de l’Economie, Adel Fakih.

Mohammed Ben Salman, un héritier « pressé et zélé »

La situation que vit actuellement le royaume wahhabite n’est cependant pas vraiment exceptionnelle : « La mise à l’écart des personnalités-clés du régime saoudien sont fréquentes, indique Emmanuel Dupuy. On se souvient que la mise à l’écart du prince héritier Moukrine en avril 2015, au profit de Ben Nayef, avait déjà provoqué une telle ‘révolution’ de palais. Deux de ses victimes a l’époque étaient les Princes Turki Bin Faisal Al Saud et Bandar Sultan Al Saud, aux parcours semblables — chef des services de renseignement, les très redoutés Mukhabarat, et ambassadeur du Royaume saoudien à Washington — et destins de ‘parias’ du régime. »

Mais ce qui frappe aujourd’hui, c’est avant tout la rapidité avec laquelle MBS est entré en action. Il s’agit, explique Emmanuel Dupuy, « d’une accélération et d’une anticipation de la succession, et non pas seulement la résultante de celle-ci. Mohammed Ben Salman, en héritier pressé et zélé, confirme ainsi préparer un rajeunissement des futurs cadres de son règne. » Pour ce faire, MBS veut renouveler sa « cour » en choisissant « des hommes de sa génération pour l’accompagner dans sa future accession au trône », indique le spécialiste.

Mais en usant de cette stratégie, assure Emmanuel Dupuy, MBS « risque de se mettre néanmoins en danger, alors qu’il se débarrasse des piliers du système sécuritaire du régime, dans un contexte d’accentuation des potentiels conflits régionaux, que semble confirmer la crise institutionnelle ouverte par la démission surprise de Saad Hariri au Liban. »

Pression de l’Iran, fébrilité saoudienne

La purge entamée par le prince héritier a-t-elle eu l’effet escompté ? Si MBS prétexte la corruption pour mettre au ban du palais ses opposants, personne n’est dupe sur ses motivations : sous couvert de vouloir moderniser le royaume, Mohammed Ben Salman est en train de tenter d’étouffer toute opposition. Avec, en trame de fond, l’Iran. « Auréolée d’une future sortie de crise en Syrie et en Irak, qui lui devra beaucoup, l’Iran entend désormais mettre davantage la pression sur Riyad, assure Emmanuel Dupuy. Téhéran semble désormais renforcée et prête à ce jeu. »

Et la purge qui se joue actuellement en Arabie Saoudite pourrait avoir des conséquences différentes de ce qu’espérait le prince héritier. « Le risque est ainsi grand qu’en voulant provoquer cette ‘révolution de palais’, MBS n’offre lui-même l’angle d’attaque idéal : celui d’une fébrilité domestique que confirme la chute de 13,5 % du PIB, la perte de 150 milliards de réserves bancaires — au grès des crises bancaires et de la chute du prix du pétrole — qui, déstabilisant de l’intérieur le Royaume saoudien, n’accélère in fine sa fragilité vis-à-vis de l’extérieur », conclut Emmanuel Dupuy.

Et en pleine rafle d’arrestations, les médias saoudiens annoncent le crash d’un hélicoptère et la mort, dans cet accident, d’un ancien prétendant au trône, le prince Mansour ben Moqren. Entre autres victimes.