La rentrée est belle est bien là. Rien de mieux que pour un des journaux satiriques les moins lus en France, pour ne point le nommer, Charlie Hebdo, de faire une titraille des plus racoleuses afin de réveiller de nouveau le débat endormi des limites de la liberté d’expression. On ne reviendra pas ici sur le débat animé visant à assigner tous les Français à dire « Je suis Charlie » aux lendemains des attentats douloureux de Paris, assignant ainsi tout citoyen à soutenir Charlie et se faisant, soutenir la libre expression. Puis, il faut se souvenir qu’après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, la grande marche à Paris qui avait réuni plusieurs milliers de Français et plusieurs chefs d’Etat n’a visiblement aucune importance à l’égard des journalistes de Charlie. En effet, lors de cette marche, plusieurs musulmans étaient venus témoigner leur consternation face aux attentats, montrant ainsi que l’Islam, leur religion, et les musulmans pacifiques, ceux qui la pratiquent, devaient être distingués des terroristes.

En dessinant une personne morte à terre après les attentats en Espagne et titrant « L’Islam, religion de paix », l’approche essentialisante de Charlie Hebdo vient de toucher à son paroxysme. D’abord, parce qu’un tel raisonnement est souvent repris par ce qu’il convient de nommer élégamment la « fashosphère », laquelle s’en donne souvent à cœur joie, estimant que l’Islam n’est pas une religion qui peut appeler à la paix. Ce dessin n’est pas non une dénonciation ou la satire d’un quelconque fait, dans la mesure où, lu comme tel, il est une condamnation d’une religion et de ceux qui la pratiquent dans leur ensemble. Mais cette approche est aberrante en ce qu’un simple calcul mathématique suffit à l’écarter ; il suffit de rapporter le nombre de musulmans en France (évalués entre 7 à 10 millions) aux nombres d’individus se réclamant de l’Islam qui ont commis les attentats. Le rapport est en effet sans commune mesure. Si les musulmans de France étaient des terroristes, ce que laissent induire ce titre fallacieux et abject, la France serait en pleine guerre civile !

C’est également une insulte faite à tous ceux qui luttent contre l’islamophobie, la haine et pour les libertés publiques puisque leur combat de lutte contre les préjugés n’est pas écouté et entendu. Rappelons en effet que le contexte Français n’est pas tout à fait détendu sur les questions de libertés : état d’urgence, discriminations à l’égard des musulmans, homophobies, antisémitisme et on en passe. Enfin, et à considérer que certains de ces terroristes se revendiquent de l’Islam, doit-on porter la responsabilité des actes d’une ultra minorité à une religion qui est pratiquée par l’ultra majorité pacifiquement ? Cette condamnation de l’ultra majorité jette un sentiment de dégoût légitime au sein de la société. Un journal satirique vise à se moquer d’une situation de fait. Mais cela ne l’exempt pas pour autant de vérifier la réalité des faits critiqués et une déontologie scrupuleuse du journaliste sérieux.

Charlie a encore une fois démontré que le sérieux et la déontologie, très peu pour lui. Il ne faudra pas s’étonner donc que certaines personnes condamnent tous les attentats mais maintiennent qu’elles ne sont pas Charlie en raison d’une ligne éditoriale qui semble toujours courir derrière la volonté de renflouer un bilan économiquement fragile et donner une seconde vie à un journal qui est de moins en moins lu.

* Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur spécialisé sur les questions d’Islam et de libertés publiques.