Un silence pesant régnait sur la ville de Srinagar, capitale du Jammu-et-Cachemire dans le nord de l’Inde, seulement perturbé par quelques tirs sporadiques et le grondement des véhicules blindés. Des soldats en armes étaient en faction devant des rouleaux de barbelés.

« Je n’aurais jamais pensé que l’Inde nous ferait ça », pestait Shahnawaz Hussain, un habitant de Srinagar. « J’ai perdu tout espoir dans la démocratie indienne et il y a maintenant un sentiment de haine envers eux. »

Après des préparatifs dans le plus grand secret, le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi a révoqué lundi l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire et fait voter sa dislocation par le Parlement indien, au risque d’embraser cette région en proie à une insurrection séparatiste depuis trente ans.

« Nous sommes condamnés, nous avons perdu notre identité aujourd’hui », se lamente Mohammed Asif, 28 ans. « Nous n’avons jamais eu l’impression d’être des citoyens indiens, mais maintenant, c’est ‘officiellement’ l’Inde. »

« Le Cachemire bout »

Le Pakistan, qui revendique également cette région montagneuse majoritairement peuplée de musulmans, qualifie la mesure d' »illégale » et veut porter la question devant le Conseil de sécurité de l’ONU et la Cour pénale internationale.

Son ministre des Affaires étrangères Shah Mehmood Qureshi a annoncé mercredi l’expulsion de l’ambassadeur indien à Islamabad et le rappel de l’envoyé pakistanais à New Delhi.

Le gouvernement pakistanais a également suspendu le commerce bilatéral. La mesure est symbolique, les échanges restant limités entre deux pays qui se sont déjà livré trois guerres, dont deux au sujet du Cachemire.

La région himalayenne, plongée sous une chape de plomb depuis dimanche soir, est totalement coupée du monde, tous les moyens de communication étant bloqués.

Malgré le lourd déploiement de forces et des interdictions de déplacement et rassemblement, des habitants de Srinagar ont fait état de manifestations sporadiques.

Un jeune protestataire poursuivi par la police est mort mardi après avoir sauté dans une rivière. Six personnes, dont certaines blessées par balles, ont été admises à l’hôpital de Srinagar, a indiqué un responsable de cet établissement à l’AFP.

« Nous savons que le Cachemire bout, il va exploser violemment mais nous ne savons pas quand », a déclaré à l’AFP un responsable sécuritaire dans la vallée de Srinagar.

« Je ne sais pas comment le confinement peut être levé sans voir des manifestations violentes », a-t-il observé.

Plus de 100 personnes, dont des responsables politiques locaux, ont été arrêtées ces derniers jours, a rapporté l’agence Press Trust of India en citant des officiels. Selon ces derniers, les perturbations se limitent à quelques jets de pierres.

« En cage »

Un silence irréel plane sur Srinagar ces derniers jours, les rues désertes présentant l’aspect d’une ville fantôme. Toutes les boutiques sont fermées. Seuls les pigeons et les chiens errants se déplacent librement.

Les journalistes sur place sont contraints de rester à l’intérieur du quartier où ils se trouvent, les autorités ne donnant pas de laissez-passer pour franchir les nombreux barrages militaires. « Ce blocage est vraiment sans précédent », a témoigné un photographe couvrant la région depuis plus de 30 ans et qui n’a pas souhaité être nommé.

Des riverains et jeunes à scooter tournaient en rond dans leur rue pour tuer l’ennui. « Pendant des jours, (les autorités) nous ont menti en faisant état de menaces terroristes mais le point positif est que tout le monde avait fait des stocks de denrées essentielles avant que nous ne soyons mis en cage », a déclaré à l’AFP un promeneur.

En raison du black-out et des restrictions, il était presque impossible d’avoir une vision d’ensemble de la situation à travers le Cachemire.

« Nous n’arrivons pas à rassembler suffisamment de détails de la plupart des zones de la vallée du Cachemire », a indiqué le responsable sécuritaire, ajoutant que les téléphones satellitaires donnés à près de 300 responsables de l’administration et de la police fonctionnaient à peine. « C’est comme si une calamité naturelle invisible nous avait frappés. »

Adil Ahmad, un étudiant cachemiri, partage ce sentiment. « Il n’y a aucun espoir pour l’avenir. Que Dieu nous vienne en aide. »