Bouchra Baibanou fait figure de « première de cordée ». Cette alpiniste est la seule marocaine et femme du Maghreb a avoir réalisé en 2017 l’ascension du plus haut sommet du monde, l’Everest (8 848 mètres).

En décembre dernier, après huit ans dans les montagnes, elle a également terminé et réussi le challenge des sept sommets du monde, qui consiste à gravir les plus hauts sommets de chaque continent. Un défi que peu de femmes ont réalisé, le domaine de l’alpinisme étant encore très masculin.

Ainsi, à 48 ans, Bouchra Baibanou a commencé par monter en haut du Kilimandjaro en Afrique en 2011, puis de l’Elbrouz en Europe (2012), suivi de l’Aconcagua en Amérique du Sud (2014), du Mont McKinley en Amérique du Nord (2014), de la Pyramide Carstensz en Océanie (2015), de l’Everest en Asie (2017) pour finir par le mont Vinson en Antarctique (décembre 2018).

Aujourd’hui, cette ingénieure de formation originaire de Rabat, entend transmettre sa passion aux jeunes filles du Maroc. Interview.

LeMuslimPost : Comment avez-vous découvert la montagne et l’alpinisme ?

Mon amour pour la montagne a commencé à l’adolescence. Je suis partie en colonie de vacances pour la première fois de ma vie, à 15 ans, dans une région montagneuse du Maroc. J’ai beaucoup aimé les marches dans la nature. Quelques années après, j’ai entendu parler du mont Toubkal, le plus haut sommet du Maroc. Je suis partie le gravir avec une amie, à 26 ans. En atteignant le haut de la montagne, c’est là où m’est venue ma passion pour les sommets. J’étais éblouie, j’avais un grand sentiment de liberté et de joie. J’ai donc commencé à gravir plusieurs sommets au Maroc.

Pourquoi avez-vous décidé de relever le challenge des sept sommets ?

Lors de mes randonnées au Maroc, j’ai rencontré beaucoup de touristes qui m’ont parlé de leurs excursions et m’ont donné envie de voyager. Etant sur le continent africain, j’ai d’abord décidé de me rendre au Kilimandjaro en Tanzanie en 2011, pour gravir le plus haut sommet de l’Afrique. C’est en préparant mon voyage, que j’ai entendu parler du challenge des sept sommets du monde, le Kilimandjaro en faisant partie.

Au départ ça me paraissait impossible car je faisais de la randonnée, mais je ne m’y connaissais pas bien en alpinisme. En plus c’était un projet qui coûtait très cher. J’ai décidé de me lancer et de voir jusqu’où je pourrais aller. Quand j’ai atteint le sommet du Kilimandjaro, je me suis découverte des capacités et je me suis dit que je pouvais peut être aller plus haut encore.

Comment vous-êtes vous préparée pour vos ascensions ?

Il fallait que j’apprenne l’alpinisme, alors j’ai fait un stage en France. J’ai gravi le Mont Blanc, un sommet très technique. Et j’ai commencé à chercher des sponsors pour continuer mon projet. Je me suis rendue d’abord sur le mont Elbrouz en Russie et puis en Amérique du Sud. Je n’ai pas réussi le sommet Aconcagua du premier coup mais j’ai retenté en 2014 et j’ai réussi. A chaque sommet, j’ai acquis plus de confiance en moi. Les sponsors ont aussi davantage cru en mois au fil du temps. Pour l’Everest, il m’a fallu plus de temps pour trouver des sponsors car son ascension est très difficile. J’ai fait des stages d’alpinisme avec beaucoup de sport chaque jour et de la préparation mentale.

Quel message souhaitez-vous adresser aux femmes à travers vos exploits ?

C’est une grande fierté pour moi et pour la femme musulmane. Mon message est que, même si on est une femme, une mère de famille, on peut réaliser ses rêves. On peut à travers ce que l’on accomplit devenir un modèle pour ses enfants. Parfois ce sont les femmes qui se privent elles-mêmes de leurs rêves.

Le fait que voyage seule dans le monde peut paraitre bizarre pour certains. Des alpinistes me regardaient d’ailleurs de façon curieuse. C’était peut être la première fois qu’ils voyaient une femme voilée dans les montagnes. Mais après discussions, je pense que j’ai permis de changer leur vision de la femme musulmane, soumise et peu éduquée.

Ainsi, je suis fière de représenter la femme musulmane dans le domaine de l’alpinisme encore très masculin, et de laisser mon empreinte.

Souhaiteriez-vous transmettre votre passion à des jeunes filles ?

Je me suis engagée auprès de la fédération royale marocaine de ski et sports de montagne pour travailler avec les jeunes. J’ai emmené un groupe de filles entre 14 et 18 ans l’année dernière pour la première fois au sommet de Toubkal, ainsi qu’en France pour faire un stage de ski. J’espère que je pourrais ainsi préparer des athlètes à prendre la relève. L’alpinisme m’a permis d’avoir davantage confiance en moi, d’être plus déterminée et persévérante face aux difficultés. C’est ce que j’essaye de transmettre aux adolescentes. 

Quels sont vos projets désormais ?

Je savoure pour l’instant, ce que j’ai accompli pendant des années. Cela fait huit ans que j’ai commencé mon projet. Je ne vais pas m’arrêter, j’ai toujours des sommets en tête, notamment dans l’Himalaya et en Suisse. Mais pour le moment je me concentre sur mon travail avec les jeunes filles et sur l’écriture de mon livre. J’ai également un film en préparation sur mon parcours.