L’Europe et la France réfléchissent à rouvrir un dossier qui ferait mieux de rester clos : celui des PAT (protéines animales transformées) entrant dans l’alimentation des animaux que nous consommons tous les jours. En cause : l’utilisation possible de porc dans l’alimentation des volailles et des moutons !
Islam et société française ressassent toujours le même refrain : je t’aime, moi non plus. Aucun secteur d’activité n’est épargné pour les incompréhensions : le respect des figures religieuses face à la liberté d’expression avec les caricatures de Mahomet, l’organisation du culte musulman avec la Charte de l’islam prévue dans la loi Séparatisme et la paralysie organisée du CFCM (Conseil français du culte musulman) et, dernière affaire en date, la publication d’un tweet de la marque d’eau minérale Evian au premier jour du mois de jeûne du Ramadan et le rétropédalage de la marque, immédiatement critiqué. Erreurs de communication, fausses excuses et double discours sur le « mieux vivre ensemble », maladresses ou volonté cachée de mettre de l’huile sur le feu : les musulmans de France se sentent visés. Et ils ne sont pas au bout de leurs (mauvaises) surprises !
Du porc dans le poulet ?
La nouvelle est passée inaperçue pour le commun des mortels. Fin 2020, la Commission européenne a donc rouvert le dossier de l’alimentation animale, régie par le règlement n°999 de 2001 « fixant les règles pour la prévention, le contrôle et l’éradication de certaines encéphalopathies spongiformes transmissibles ». Nous étions alors dans l’ère post-vache folle. Jusque-là, rien d’alarmant. Le texte initial encadrait très strictement les composants entrant dans les farines destinées à l’alimentation des animaux que nous consommons quotidiennement, en interdisant certains procédés industriels. Les nouvelles discussions voudraient revenir dessus. Et c’est là que le bât blesse.
Le dossier est actuellement sur le bureau de deux commissaires européens : la Chypriote Stélla Kyriakídou, en charge de la Santé et de la Politique des consommateurs (et donc responsable des questions de santé publique, de sécurité alimentaire et de santé animale) et le Polonais Janusz Wojciechowsk en charge de l’Agriculture et du Développement rural, dont l’aversion de longue date pour le halal n’est un secret pour personne. En résumé, la réforme de l’utilisation des PAT (protéines animales transformées) permettrait à l’agro-industrie alimentaire toutes sortes de mélanges : donner aux non-ruminants des aliments à base d’insectes, de porc, de volailles et de poissons, indistinctement. Résultat possible : le poulet ou le mouton grillant dans les kebabs de France pourrait être désormais nourri avec des restes de porc. Une disposition en forme de provocation, peut-être non-intentionnelle, mais qui risque de creuser encore davantage le fossé entre la population musulmane et les décideurs politiques, européens comme nationaux.
Mais quels sont les arguments des lobbies pro-PAT comme l’UECBV (Union européenne du commerce du bétail et des métiers de la viande) ou la FEFAC (European Feed Manufacturers’ Federation) ? Réduction de la dépendance aux importations de soja pour la fabrication d’aliments pour animaux, réduction du gaspillage alimentaire dans le cadre du nouveau Green Deal, protection de l’agro-industrie et de l’élevage européens, promotion du régime végétarien, lutte pour le bien-être animal… Ils oublient tous une chose : les us et coutumes des consommateurs de confession musulmane. A l’échelle européenne, ce sont près de 26 millions de citoyens qui seraient directement impactés, dont 4,1 millions rien qu’en France (où ils représentent 14% de la population). Que pèsent les musulmans dans les choix européens ? Visiblement pas grand-chose !
Le halal à la française de plus en plus nébuleux
Dans ces conditions, comment garantir encore la nature halal des animaux consommés en France par les citoyens de confession musulmane alors que l’abattage lui-même est souvent sujet à caution ? En octobre dernier, l’affaire du mouton écossais avait fait grand bruit, montrant à quel point le marché de la viande halal aiguise les appétits et attire les escrocs. Depuis des années, la question de l’alimentation halal revient régulièrement dans les médias, nourrissant la suspicion dans la société française à l’égard de concitoyens musulmans qui sont quant à eux soucieux du sérieux des certifications halal. En France, il existe pléthore d’organismes – plus ou moins fiables – disposant du droit de certifier des produits halal. Un argument pour ceux que l’islam dérange, et une vraie source de confusion pour les musulmans.
Cette confusion est malheureusement entretenue par les pouvoirs publics. En mars dernier par exemple, des informations avaient circulées concernant l’interdiction en France de l’abattage halal du poulet, suivant une directive du 23 novembre 2020, passée elle aussi inaperçue et qui précisait qu’à « compter du mois de juillet 2021, l’abattage rituel halal de volaille en France ne serait plus autorisé ». Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, avait alors déploré cette politique du fait accompli : « Cette directive a été établie en catimini. Nous ne l’avons appris qu’en janvier. Avant, les bêtes étaient assommées, mais au bout de deux minutes redevenaient mobiles. Avec ces nouvelles normes [ndlr : suppression de l’électronarcose, contraire au sacrifice rituel], testées sous contrôle huissier, toutes nos bêtes étaient mortes ! » Quelques jours plus tard, le 27 mars, le ministre français de l’Agriculture et de l’Alimentation Julien Denormandie démentait finalement l’information. Cette séquence de mauvaise communication institutionnelle avait alors inquiété la communauté musulmane.
En bout de chaîne, les polémiques dénuées de sens touchent aussi les supermarchés et la mise en rayon des produits halal. En octobre dernier, les déclarations du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avaient fait la une des médias : « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y avait un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté. C’est comme ça, que ça commence le communautarisme. » Une petite phrase draguant ouvertement l’électorat du Rassemblement National de la famille Le Pen, et recadrée vite fait bien fait par le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal : « Le jour où la question des rayons de supermarché sera prioritaire pour le gouvernement, c’est que nous aurons réglé un certain nombre d’autres questions auparavant. » Encore une fois, les habitudes de consommation des musulmans de France étaient mises au banc des accusés. Sans raison.
Mais que pourront faire ces mêmes musulmans pour pratiquer et faire respecter leur foi si les aliments – dans lesquels ils avaient confiance – venaient à être contaminés par la viande porcine du fait de l’alimentation animale dans les élevages ? Comment certifier et assurer la traçabilité des viandes halal avec ces nouvelles dispositions ? Autant dire que les futures polémiques sur le sujet n’auront d’autre objectif que de mettre à mal la concorde sociale, par ignorance ou par malveillance. Et l’éventualité de retrouver des volailles ayant été nourri avec des PAT contenant du porc ne fera qu’attiser le feu couvant sous les braises…