Depuis plusieurs années, l’Association française de normalisation (AFNOR) sur la mise en place d’une norme halal. Une première norme expérimentale a vu le jour ce 15 septembre. Mais celle-ci est déjà largement décriée par les organisation musulmanes — mosquées, organismes de certifications halal et CFCM, entre autres — qui regrettent que l’AFNOR ait décidé de la norme sans les mettre dans la boucle. En effet, ce sont des institutionnels et des industriels (principalement Doux) qui ont décidé de ce que devait être le halal. Mais l’AFNOR n’en démord pas et veut « la jouer offensive », et ainsi imposer sa norme halal. Pourquoi une telle arrogance vis-à-vis de l’alimentation halal alors que l’Association française de normalisation n’a jamais tenté de s’ingérer dans la cacherout ? Plusieurs raisons expliquent ce deux poids-deux mesures.

Le grand bazar des certificateurs de halal

En France, le système de certification halal est disparate. Plusieurs organismes privés ou associatifs, dont certains dépendent de mosquées françaises, apposent leur label sur les produits qu’ils définissent, selon leurs cahiers des charges respectifs, comme halal. Malgré la loi de 1905, l’Etat a, depuis le milieu des années 1990, voulu réglementer ce marché. En autorisant la mosquée de Paris tout d’abord à certifier les produits halal, puis en élargissant cette autorisation aux mosquées de Lyon et d’Evry. Mais d’autres organismes, non accrédités par l’Etat, ont également le droit de fournir une certification halal, dont AVS. Face à une telle disparité de certificateurs, l’Etat — via le ministère chargé de l’Industrie, dont l’AFNOR est sous tutelle — et les industriels tentent d’imposer leurs propres règles. Pour le casher, tout semble plus simple : les juifs de France achètent des produits portant le logo orange KBDP du Beth Din de Paris, la certification mise en place par le Consistoire de Paris.

La volonté de l’Etat de créer un « Islam de France » sans les musulmans

L’initiative de l’AFNOR intervient à un moment où l’Etat tente de mettre la main sur l’Islam en France sans mettre à contribution les musulmans du pays. On l’a vu avec la Fondation de l’Islam de France, présidée par Jean-Pierre Chevènement, ou avec l’initiative de Gérard Collomb de créer des missions informelles de coordination des cultes : les gouvernements successifs veulent imposer leur modèle sans passer par la base. La « nome expérimentale » mise en place par l’AFNOR répond à la même logique : l’association a établi une liste de contraintes sans même en référer aux organismes certificateurs déjà existants. La difficulté des différentes instances locales musulmanes à s’organiser joue clairement en la faveur des autorités gouvernementales, qui avancent sans attendre. En mars 2016, le CFCM avait adopté une charte du halal. Mais trop lent, le Conseil français du culte musulman s’est aujourd’hui fait doubler par l’AFNOR qui, en plus, assure sans honte que le CFCM a adoubé sa norme expérimentale. Le Consistoire, dans un cas similaire, ne se serait jamais laissé faire.

Le marché du halal exponentiel, celui du casher sept fois moins important

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au niveau mondial, le halal représente plus de 600 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel. On estime que ce même chiffre d’affaires pourrait atteindre les 2 000 milliards de dollars par an en 2025. Des sommes bien éloignées du marché du casher qui n’est évalué qu’à 100 milliards de dollars. Par étonnant que l’Etat tente donc de mettre la main sur le halal et laisse le Consistoire gérer seul la cacherout. Du coup, industriels et institutionnels sont sur les starting-blocks. Et la clé d’un succès des exportations de produits halal passerait forcément par le Jakim, l’organisme certificateur malaisien. La norme AFNOR, si elle perdurait, permettrait d’envisager entre l’Hexagone et la Malaisie des relations économiques florissantes. La certification du Jakim est très contraignante, mais elle est un des passages obligés pour intégrer le marché asiatique. Et face à des concurrents comme l’Argentine, la France, à fort de tergiversations, a pris du retard. Le Moyen-Orient attise également l’appétit des industriels et de l’Etat. Eldjida Makhloufi, responsable export de la Fict, explique dans La Croix pourquoi est née la norme AFNOR : « Nos concurrents prennent des parts de marché dans des pays où nous aurions une légitimité, mais où on reproche à la France de ne pas avoir de norme », indique-t-elle.