Le 10 octobre dernier, BFM a évoqué, dans un reportage, le sujet de « la radicalisation islamiste dans le sport ». Pour illustrer ses propos, la chaîne a diffusé les images du stade de Foot de Lagny-sur-Marne et se base, notamment, sur le site gouvernemental « StopDjihadisme » qui aurait recensé « 829 cas de radicalisation ».

Des affirmations infondées

ADM s’est occupée du dossier de Lagny-sur-Marne, ville où des habitants ont été victimes, suite à la mise en place de l’état d’urgence, de perquisitions, d’assignations à résidence.

D’après BFM, « deux entraîneurs d’un club de football local ont été suspendus par la municipalité après la découverte de leur proximité avec les milieux islamistes radicaux. »

Les « prières au beau milieu des terrains de foot » auraient « mis la puce à l’oreille de la préfecture ».

Il est important de relever que ces affirmations sont mensongères. Ces personnes n’étaient tout d’abord pas « entraîneurs » mais des bénévoles d’une association sportive. N’étant donc pas des employés, la mairie n’a pu les « suspendre » de leurs fonctions. Elles n’ont, de plus, pas prié dans le stade comme a pu l’entendre BFM.

Qui sont ces jeunes cités sur BFM ?

Ces deux jeunes ont été assignés à résidence pendant les deux ans d’Etat d’urgence. Pères de famille avec des enfants en bas âges, ces mesures administratives ont bouleversé leur vie en touchant leur réputation ainsi que celle de leur famille. Les laissant dans une situation de grande précarité, ils se sont vu interdire toute sortie de la ville. Ils ont été stigmatisés, montrés du doigt, ils n’ont pu trouver de travail et réintégrer une vie sociale.

Il faut savoir :

  • Qu’aucune condamnation n’a été prononcée contre ces personnes pour des faits de terrorisme.
  • Qu’aucune de ces personnes ne présente des signes d’extrémisme violent.
  • Que ces personnes condamnent elles-mêmes le terrorisme.

En réalité, ce qui leur est reproché est leur pratique de leur religion assidue ainsi que leur participation trop active au sein de la vie de la cité.

Les critères de radicalisation sont discriminatoires

Nous avons alerté les instances nationales et internationales sur le site gouvernemental « StopDjihadisme », devenue une plateforme de règlements de comptes. Le rapport ADM 2017 souligne que « les mesures d’Etat d’urgence sont la plupart fondées sur des signalements par le biais de cette plateforme et proviennent de dénonciations calomnieuses souvent faites par des proches de la personne. »

Les critères de radicalisation sont basés essentiellement sur la pratique religieuse assidue. Lors du précèdent rapport sur l’état d’urgence, ADM a demandé la suppression des critères de radicalisation liés à la pratique et à l’apparence de la religion musulmane ; la révision des critères avec une réelle étude concertée nourrie par tous les acteurs et non seulement avec ceux qui disent ce qu’on a envie d’entendre, ce qui s’avère contreproductif et dangereux.

Plusieurs études internationales approfondies ont confirmé nos travaux et on également conclu à la contre-productivité des mesures sécuritaires liées à la lute antiterroriste. Un rapport du PNUD [1] — qui s’appuie sur 718 entretiens menés au cours des trois dernières années en Afrique de l’Ouest et de l’Est sur des djihadiste de Daesh et al-Qaida  — relevait les facteurs conduisant à l’extrémisme violent. L’étude concluait que ces derniers étaient généralement liés à l’exclusion, la discrimination, les abus de pouvoir des autorités de l’Etat et constatait finalement que la majorité des personnes ne possédait aucune connaissance de l’Islam. L’étude souligne par ailleurs que « recevoir au moins six années de scolarité religieuse réduisait de 32 % la probabilité de rejoindre à un groupe extrémiste ».

Les instances internationales ont mis en garde contre le ciblage religieux visant les musulmans.

La Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la promotion des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, à l’issue de sa visite en France, en mai 2018, a indiqué qu’« il apparaît clairement que la communauté musulmane française est celle qui a été principalement visée par des mesures d’exception aussi bien pendant l’état d’urgence et SILT. Elle s’est dite inquiète « de voir que la minorité musulmane est perçue en soi comme un ‘groupe suspect’ du fait de l’application étendue et prolongée des lois antiterroristes » [2] créant encore davantage de stigmatisations.

En conclusion, il est impératif de supprimer les critères de radicalisation basés sur la pratique religieuse musulmane. Ceci conduit à stigmatiser une partie de la population et a exacerbe les tensions comme avec ce reportage de BFM. Les autorités doivent veiller au respect des droits fondamentaux et protéger toute la population y compris les musulmans. Il est aussi vital que certains médias cessent de donner la parole à des pseudos-experts en radicalisation et/ou en islamisme qui discriminent les musulmans et dont les travaux ne reposent sur aucune expertise solide.

*Sihem Zine est présidente d’ADM (Action Droits des Musulmans), organisation de défense des droits.

[1] PNUD Programme des Nations Unies pour le développement  (Journey of young Africans into violent extremism marked by poverty and deprivation : UNDP-Sep 7, 2017)

[2] Nations Unies, Conclusions préliminaires de la visite : la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste conclut sa visite en France, 23 mai 2018, https://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23128&LangID=F