En mars dernier, le maire Les Républicains de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, annonçait la suppression des menus de substitution dans les écoles de sa commune. La raison ? La laïcité, invoquée par le maire, qui voulait donc proposer des menus uniques à base de porc. Un recours avait alors été déposé par la Ligue de défense judiciaire des musulmans, présidée par l’avocat Karim Achoui. Mais le tribunal administratif de Dijon a, il y a dix jours, rejeté ce recours. LeMuslimPost a rencontré l’avocat, qui explique sa démarche.

LeMuslimPost : Au-delà de l’aspect juridique, en quoi supprimer le menu du substitution est-il contraire aux valeurs de la République ?

Karim Achoui : Les grandes valeurs républicaines de Liberté, de Fraternité et d’Egalité sont directement heurtées par une décision telle que celle prise par le maire de Chalon-sur-Saône. Le refus de servir un plat de substitution au porc contrevient de plein fouet à la liberté religieuse et cultuelle, qui sont deux principes élémentaires en France, et qui sont, de surcroît, consacrés par le droit européen et international des droits de l’Homme. Il en va de même pour la Fraternité, laquelle suppose de considérer l’autre comme soi-même, et invite à la tolérance et au respect des différences. Enfin, et contrairement à ce qu’affirment les partisans de la fin des menus de substitution, l’Egalité est également atteinte par la décision du marie de Chalon-sur-Saône. L’Egalité n’est pas l’égalité mathématique dans le traitement des individus. Il s’agit, bien au contraire, d’une conception ouverte de l’Egalité, où la loi prend en considération certaines situations particulières afin de préserver les spécificités, qui peuvent être de l’ordre du religieux.

Quand vous menez l’affaire devant la justice au nom de la Ligue de défense judiciaire des musulmans, n’est-il pas difficile de fixer la limite entre laïcité et communautarisation ?

L’action entreprise à l’encontre de la décision en cause n’est pas une démarche communautaire. Elle n’est pas intentée au nom d’une communauté religieuse, mais uniquement en faveur de celles et ceux qui souhaitent pouvoir exercer librement leur pratique religieuse. Ce sont les adversaires qui ont intérêt à prétendre qu’il s’agit d’une démarche communautaire, pour mieux la discréditer.

« La liberté de conscience, même à l’école »

Vous invoquez « le droit au respect de la liberté de culte et de conscience » des enfants. Cette liberté a-t-elle sa place dans l’école publique ?

Naturellement ce droit fondamental a sa place à l’école publique, au moins dans une certaine mesure. Dès lors que l’exercice du culte ne heurte pas l’ordre public, ni le bon fonctionnement du service public, le domaine public n’échappe pas à la liberté cultuelle. D’ailleurs, il doit être rappelé que les manifestations cultuelles publiques ne sont pas interdites, mais protégées. Par ailleurs, la liberté de conscience ne saurait être abandonnée à l’entrée de l’école, car relève du for intérieur de l’élève. Il lui serait impossible de s’en départir.

Selon Me Jean-Baptiste Jacquenet-Poillot, autre avocat de l’association, le maire de Chalon-sur-Saône était « incompétent pour prendre cette décision de son propre chef. » Qui aurait dû prendre cette décision ?

Il est admis par la jurisprudence administrative qu’une telle décision ne peut être prise que par un Conseil municipal, et non par le maire seul. Cette question ne souffre pas de contestation sérieuse possible.

menus-cantineVous dites que « derrière la volonté du maire, il y avait une volonté politique de radicalisation, de confusion dans l’esprit. » Comment en être si sûr ?

Avant de communiquer sa décision par voie de presse, le maire de Chalon-sur-Saône avait adressé une lettre au parents d’enfants scolarisés dans les écoles publiques de la ville, et avait utilisé la formule suivante: « Dans la période troublée que nous vivons. » Il est bien évident qu’il s’agit là d’une référence aux attentats terroristes du début d’année, et aux évènements isolés qui sont l’œuvre de fanatiques manipulés. Par ailleurs, le sujet de l’Islam en France, de la place de l’Islam, des mosquées, des minarets, etc. est très débattue depuis une décennie environ. Les politiques en ont fait un enjeu électoral majeur, en particulier le Front national. Aujourd’hui Nicolas Sarkozy, œuvrant pour les élections présidentielles de 2017, tente de se ramener une partie de l’électorat frontiste, en jouant la carte de l’hostilité à l’Islam. Il n’est pas surprenant de constater que le maire de Chalon-sur-Saône est un fervent partisan de l’ancien président.

« La Cour européenne des droits de l’Homme bientôt saisie »

Vous parlez d’« instrumentalisation de la laïcité. » En termes juridiques, peut-on établir clairement ce qu’est la laïcité ? Car c’est un terme dont les interprétations sont multiples, chacun peut avoir sa propre opinion de la laïcité…

Il est certain que la laïcité n’est pas un concept univoque. Cependant, la LDJM soutient que la laïcité protégée par les grands textes constitutionnels et internationaux est une laïcité d’ouverture, d’intégration, par laquelle l’Etat garantit aux citoyens leur liberté de culte, et l’effectivité de cette liberté. La loi de 1905 n’a pas consacré un désintéressement complet de l’Etat quant aux questions religieuses. Elle a, uniquement, marqué la séparation entre l’autorité étatique et l’autorité ecclésiastique. Il en résulte une mise au même niveau d’importance de tous les cultes religieux.

Cette décision qui concerne Chalon-sur-Saône signifie-t-elle que, désormais, toutes les mairies pourront proposer un menu à base de porc sans être inquiétées par la justice ?

Absolument pas. Le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a uniquement estimé qu’il n’y avait pas d’urgence à suspendre la décision du maire. Il n’était pas compétent pour apprécier la légalité de la décision, et ne s’est donc pas prononcé dessus. La question de fond reste entière, et sera débattue au cours de l’année 2016, jusqu’à ce que le Conseil d’Etat se prononce dessus, avant que la Cour européenne des droits de l’Homme soit, à sont tour, saisie de la question.

« Un plat végétarien est bien moins onéreux qu’un steak haché »

Le maire parle de « discrimination religieuse » lorsqu’il parle des menus de substitution. Que répondez-vous ?

Le maire a parfaitement raison, sans le vouloir ! Empêcher les enfants de respecter l’interdit alimentaire majeur revient à la priver de leur liberté de culte, ce qui est hautement discriminatoire. Nous en revenons là à la conception que l’on adopte de la notion d’Egalité.

L’argument de certains défenseurs de la laïcité est de dire que si chaque religion demande son menu, on ne s’en sort plus (pas de bœuf pour les Hindous). Existe-t-il une solution pour satisfaire tout le monde ?

Il s’agit d’un faux argument. Tout d’abord, il n’y a pas un grand nombre d’interdits alimentaires, mais quelques uns uniquement. L’Etat français a très largement la possibilité de doter les collectivités des moyens nécessaires au respect des interdits alimentaires. Une tranche de dinde n’est pas plus onéreuse qu’une tranche de jambon. Un plat végétarien est bien moins onéreux qu’un steak haché !

L’affaire n’est aujourd’hui pas terminée. Vous avez engagé une autre procédure sur le fond ? A-t-elle la possibilité d’aboutir ?

L’affaire est effectivement loin d’être terminée. La procédure qui aura lieu sur le fond a toutes les chances d’aboutir, en raison du fait que les droits constitutionnel et international des droits de l’homme garantissent les libertés religieuses et de culte. La question de fond sera aussi, et malheureusement, un enjeu politique majeur. Si le gouvernement actuel voulait se montrer courageux, il ferait légiférer sur la question, par la soumission d’un projet de loi. Une telle option n’est pas d’actualité malheureusement.

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