Le projet de loi antiterrorisme doit permettre à la France de sortir de l’état d’urgence exceptionnel le 1er novembre, décrété depuis les attentats de Paris en 2015. Le texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée à une large majorité, avec 415 voix pour et 127 contre. Si certaines dispositions prises pendant l’état d’urgence sont en apparence assouplies, elles se voient surtout davantage durcies et vont entrer dans le droit commun.

Des élus de gauche et des défenseurs des droits de l’homme s’inquiètent depuis plusieurs mois à propos de ces nouvelles mesures qui renforcent le pouvoir des autorités administratives (préfets, ministre de l’Intérieur). Le Défenseur des droits Jacques Toubon a dénoncé la mise en place d’un « état d’urgence permanent. » Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a quant à lui pointé du doigt la semaine dernière les « restrictions aux libertés civiles » portées par ce projet de loi. Pourtant Emmanuel Macron n’a pas cédé, ayant fait de la lutte contre le terrorisme son cheval de bataille pour son quinquennat. Voici les principales mesures et les questions qu’elles soulèvent :

L’assignation à résidence élargie

Les assignations à résidence deviennent des « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ». Le texte prévoit d’assigner un individu non plus à son domicile mais dans un périmètre plus large « qui ne peut être inférieur à la commune » afin de lui permettre de « poursuivre sa vie familiale et professionnelle ». Un assouplissement relatif, car l’individu pourra se voir contraint à porter un bracelet électronique. Et si l’assignation est limitée à trois mois, elle est renouvelable pour un an maximum, sans qu’aucune autorisation du juge ne soit requise, ce que dénonce le syndicat de la magistrature. Car qu’adviendra t-il des personnes innocentes ?

Les députés ont par ailleurs rétabli l’obligation de pointage une fois par jour à la police ou à la gendarmerie, quand les sénateurs l’avaient fixée à trois fois par semaine.

Une autorisation pour les perquisitions administratives

Les perquisitions administratives, chiffrées à plus de 3 500 entre 2015 et 2016, seront désormais appelées « visites et saisies ». Alors qu’une simple notification au procureur de la République suffisait, le texte exige désormais une autorisation du procureur avant la perquisition. Mais les perquisitions sont elles vraiment efficaces pour lutter contre le terrorisme ? Si elles ont permis de saisir des centaines d’armes, elles ont abouti à 25 infractions seulement, en lien direct avec le terrorisme.

Un accès facilité aux identifiants personnels et une surveillance des communications

Deux nouvelles mesures prévues dans le projet de loi posent également question sur le respect de la vie privée. En effet le texte indique que le ministre de l’Intérieur pourra obliger quelqu’un à donner ses identifiants de communication électronique, après en avoir informé le procureur de la République. Lors de perquisitions, il sera également possible d’accéder aux données des ordinateurs, en attendant l’autorisation du juge pour exploiter celles-ci.

L’autre mesure, prévue par la loi Renseignement avait d’abord été censurée par le conseil constitutionnel. Mais le nouveau projet de loi a anticipé un cadre juridique afin de faciliter la surveillance des communications par voie hertzienne (échanges entre téléphones portables via une antenne relais) par les services de renseignement.

Des périmètres de protection pour les grands évènements

Lors des grands évènements, manifestations culturelles ou sportives, le préfet pourra déterminer un périmètre précis de « protection », limitant la circulation des personnes. Les forces de sécurité pourront procéder à des palpations et à des fouilles. Mais comment définir les risques d’attaque terroriste liés à la tenue d’un événement pour justifier l’adoption de ces mesures ?

Fermetures des lieux de culte pour idées jugées dangereuses

Depuis 2016, la fermeture provisoire des lieux de culte où sont tenus des propos de haine, incitant à la violence ou à des actes terroristes est facilitée pour les autorités administratives. Le nouveau projet pérennise la mesure et prévoit que le préfet puisse fermer un lieu de culte durant 6 mois maximum, mais plus seulement en cas de propos faisant l’apologie du terrorisme. De simples « idées ou théories » jugées dangereuses suffiront à interdire l’ouverture d’un lieu de culte. Mais sur quoi se base t-on pour affirmer que certaines idées sont plus inquiétantes que d’autres ?

Un contrôle aux frontières élargi

La zone de contrôle aux abords des gares internationales sera élargie, avec une extension de 6 à 12 heures de durée légale de ces contrôles. Les ports et les aéroports jugés sensibles sont également concernés par cette mesure, dans un rayon de 20 kilomètres. Les vérifications d’identités sans justifications sont donc étendues. Plusieurs associations contre le racisme s’inquiètent déjà de la banalisation des contrôles au faciès découlant de ce nouveau dispositif.

Un fichier des passagers aériens mis en place

La loi prévoit désormais le transfert des données des passagers recueillies par les compagnies aériennes aux autorités judiciaires, dans le cadre du dispositif européen « Passenger name record ». Les informations (itinéraire, poids des bagages, numéros de carte de crédit, coordonnées etc…) pourront être utilisées et exploitées par les services de renseignement et la police pour « prévenir » d’éventuels attentats. Les passagers ayant demandé un menu sans porc seront-ils davantage visés ?

Face à toutes ces critiques émises par les défenseurs des droits de l’homme, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb s’est défendu. Il a prétendu apporter une « réponse durable à une menace devenue durable ».

Par ailleurs le président Emmanuel Macron a promis que la loi serait à nouveau évaluée en 2020, avec la possibilité de supprimer certaines mesures… et d’en rajouter de nouvelles.